« 3h du matin,
j’arrive sur le site ». « À
l’époque, j’avais un vélo à petites roues » et « j’étais dégueu ». Dans la foule,
personne ne le remarque. « Distribution
de tracts », l’occasion d’une « première collecte d’informations ». En les lisant, il comprend
« qu’ils attendent le consultant
anthropologue pour le virer manu militari ». « Je choisis un leader, je le tire par la
manche », « je suis
l’ethnologue ». « Toute une
foule se rassemble », le leader dit à deux personnes : « prenez-le tous les deux ». Eric est
pris en charge. En entrant dans l’usine, il sort de son sac à dos deux
bouteilles, « on les met où ? »
Toutes les usines n’ont-elles pas un bar clandestin ? Effectivement,
« on ouvre une petite porte »,
un bar apparaît. « J’y mets mes
bouteilles. » « Immédiatement,
la nouvelle circule : il nous a eus. Ils ne peuvent plus me lâcher. »
Le monde des aciéries est d’autant plus difficile à pénétrer
que les risques du métier forcent à un très étroit esprit d’équipe. « On se protège, on est ultra-solidaires. »
La nécessité de prendre soin les uns des autres conduit à développer des
« pratiques féminines ». La
réalité des aciéries n’est pas celle des équations. C’est celle des hommes.
« À la fin, je savais qui avait
écrit les textes sur moi et l’espion venu de Rome avec un dessin issu d’Astérix,
j’étais dans le salon, à l’endroit même où il avait écrit le tract. Cela me
révélait tout de sa personne. »
Alors, pourquoi la productivité de l’usine avait-elle
chuté ? Les ingénieurs de l’entreprise avaient décidé d’une politique de zéro
défaut. Ils avaient obligé le personnel à effectuer huit contrôles. Ils
n’avaient pas compris que la vie de l’ouvrier n’est que contrôle. Par exemple,
« le matin lorsqu’il arrivait au
vestiaire de l’aciérie, l’ouvrier longeait la tuyauterie de refroidissement du
four ; s’il voyait un problème, il allait en parler au responsable. »
La politique des ingénieurs était non seulement inefficace, mais surtout
« ça a produit la démotivation des
gens ». Ils n’étaient plus que des exécutants.
« C’était la
lutte de la culture ingénieur, contre la culture praticien ». « Du passé faisons table rase, on va tout
modéliser. » C’était surtout l’affrontement entre « le monde de l’oralité et le monde de
l’écrit. » « L’acier a des
odeurs différentes en fonction du travail que l’on fait. » « Les ouvriers les connaissent, mais sont
incapables de les nommer. » Ils disent « tu sens comme ça sent. » Pour eux, c’est clair. Pas pour
l’ingénieur, qui pense : « ils
ne sont vraiment pas bons, on a raison ».
Eric Minnaert sera entendu par le PDG du groupe. Mais
partout dans l’industrie française, c’est la parole qui a gagné. L’entreprise
n’ayant pu exprimer ce qui faisait sa valeur, son savoir-faire, on lui a imposé
des normes théoriques. Parce qu’elles ne tenaient pas compte de sa complexité,
elles l’ont détruite. Et la nation n’a pas compris qu’elle perdait son
patrimoine. « On n’a pas pu
s’engager avec eux, les défendre. »
Nous avions les meilleures aciéries du monde. Par exemple.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire