Qui était Mitterrand ? On l'a dit "florentin", mais c'est plutôt à Talleyrand qu'à Machiavel qu'il me fait penser. C'était un homme de réseau, d'abord. Comme Talleyrand, il avait des amitiés partout, dans tous les camps. Et il leur était fidèle. Il n'y a pas de réseau sans fidélité. C'est ce qui fait son étonnante capacité à rassembler, la recette de son succès. En contrepartie, il est demeuré ami de gens peu recommandables, et jusqu'au bout, il a fleuri la tombe de Pétain. Ce n'était pas un homme de "ou", mais de "et". Il a été à la fois de Vichy et résistant.
Sa force semble, indéniablement, un pouvoir de séduction hors du commun. Ce fut aussi un tacticien étonnant. Dès ses débuts il est vu comme retors et dangereux. Et, pourtant, il excelle dans l'alliance. Son coup de génie est celle qu'il noue avec les communistes. On a oublié que, en ce temps, ils sont à la fois ostracisés (cinquième colonne de Staline) et la plus puissante force politique française. Son destin bascule le jour où de Gaulle décrète l'élection du président au suffrage universel. Mitterrand se dresse contre de Gaulle. Il devient le héraut de la résistance au général. Il comprend, surtout, que la présidence est pour lui : l'élection à deux tours, lui permet de liquider les communistes au second. De Gaulle obtient le contraire de ses intentions : Mitterrand fait triompher une politique des partis. Et le FN en prime ! FNUMPS, c'est lui. Finalement, ce fut un incroyable narcissique. Sa présidence a été celle du Roi soleil : constructions de prestige, et dépenses somptuaires. Puis, dans les deux années finales, il s'absorbe dans la perspective fascinante de sa mort. Nous ne comptons plus.
Cependant, comme Talleyrand, il avait une exigence de respectabilité, ce qui, très tôt, l'a amené à réinventer son passé, et à mentir sur lui. Mais, contrairement à Talleyrand, il n'a pas été un visionnaire en termes d'évolutions sociétales. Il s'adapte après coup. Il est d'une famille de la haute bourgeoisie conservatrice. Il est croix de feu. Il est haut fonctionnaire de Vichy (son emploi lui a été trouvé par sa famille), puis il sera ministre quasi permanent de la 4ème République. Il est alors très colonialiste (l'Afrique est l'avenir de la France). Il est aussi ministre de la justice, à une époque où l'on applique les méthodes industrielles au massacre et à la torture, en Algérie. Il donne son accord à beaucoup de décapitations, d'ailleurs. Et il ne comprend rien à 68. Mais il devient marxiste parce qu'il estime que c'est le moyen de gagner les voix du peuple. Cependant, il a des convictions, mais encore une fois, après coup. Peut-être se convainc-t-il des histoires qu'il nous raconte ? D'où des moments de rigidité, désastreuses pour nous. C'est notamment ce qui arrive au début de son premier mandat. Contre l'avis de Rocard et de quelques autres, mais avec l'assentiment d'Attali, il a procédé à une politique quasi collectiviste, particulièrement à contre temps. La France, notamment le chômage et le déficit, a plongé. On peut se demander si elle s'en est relevée.
Au delà du bien et du mal
Abjecte ? L'auteur ne semble pas loin de le penser. Mais est-ce une bonne façon de juger ? La politique de Mitterrand a été maladroite en Afrique, plus heureuse en Europe, dont il a été un bâtisseur, mais c'est surtout notre pays qu'il a métamorphosé. Qu'on les aime ou non, il a balayé la France d'après guerre par les idées de gauche. Il a donné un nouveau souffle au pays. (Destruction créatrice ?) Or, il n'y avait que lui qui pouvait rassembler les opposés, et utiliser la puissante et inquiétante force communiste, pour mieux la liquider. Et c'est peut-être les histoires de Mendès-France et de Rocard qui appuient le mieux cette thèse. En effet, tous deux apparaissent, dans ce livre, comme des "gens bien". Ils ont des convictions, du talent, et, eux, voient juste. Seulement, leur intransigeance les écarte du pouvoir. L'auteur traite Rocard de "pirate qui reste au port". Et cela, je pense que Mitterrand l'avait compris. Au delà du bien et du mal, c'est l'homme qui a changé la France ?
Abjecte ? L'auteur ne semble pas loin de le penser. Mais est-ce une bonne façon de juger ? La politique de Mitterrand a été maladroite en Afrique, plus heureuse en Europe, dont il a été un bâtisseur, mais c'est surtout notre pays qu'il a métamorphosé. Qu'on les aime ou non, il a balayé la France d'après guerre par les idées de gauche. Il a donné un nouveau souffle au pays. (Destruction créatrice ?) Or, il n'y avait que lui qui pouvait rassembler les opposés, et utiliser la puissante et inquiétante force communiste, pour mieux la liquider. Et c'est peut-être les histoires de Mendès-France et de Rocard qui appuient le mieux cette thèse. En effet, tous deux apparaissent, dans ce livre, comme des "gens bien". Ils ont des convictions, du talent, et, eux, voient juste. Seulement, leur intransigeance les écarte du pouvoir. L'auteur traite Rocard de "pirate qui reste au port". Et cela, je pense que Mitterrand l'avait compris. Au delà du bien et du mal, c'est l'homme qui a changé la France ?
(WINOCK, Michel, François Mitterrand, Folio Histoire, 2016.)
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