Sophiste, notre frère ? (Jacqueline de
Romilly Les grands sophistes dans l’Athènes
de Périclès, Le Livre de Poche, 2004.)
« l’individu en
ce temps là, pouvait se faire entendre directement et toutes les grandes
décisions résultaient de débats publics ; la parole était donc un moyen d’action
privilégié. Elle le devint d’autant plus que progressait la démocratie. »
Les sophistes, « professionnels de l’intelligence »,
émergent au moment où la Grèce découvre la raison (qui est aussi la parole, logos, pour les Grecs). Et cela lui
donne une sorte de coup de folie. Cette innovation semble tout rendre possible (« pouvoir de persuasion que plus rien n’arrête »).
Mais les sophistes dignes de ce nom, tels Protagoras,
Gorgias ou Critias, en font un sage emploi. S’ils sont « relativistes », s’ils font « table rase » des anciens usages, des
croyances religieuses ou de l’existence d’une vérité objective, c’est pour reconstruire
le monde sur des bases rationnelles. Principe ? « l’homme est la mesure de toutes choses ».
Le monde doit être fait pour l’homme et son bonheur. Vient alors « l’utilité », le bien commun. En
effet, les sophistes démontrent qu’aucun homme ne peut être supérieur à la
société (le mythe du surhomme est un leurre). C’est pourquoi l’homme crée des
sociétés, et les lois qui permettent d’y vivre. Forme de « contrat social », donc, et rôle essentiel
de la justice. Ce qui est bon pour la cité est bon pour l’homme. D’ailleurs, la
cité crée l’homme, du fait de l’ « action
morale qu’exerce un milieu donné, et la façon dont peu à peu il modèle le cœur de
chacun. » Les sophistes n’étaient pas des individualistes, comme on le
pense ! « La gloire a cédé la
place à des sentiments d’estime, d’affection, et d’union (…) importance donnée
depuis peu aux relations humaines, au sein de la cité. »
Partant de ces fondations, ils constituent une morale « lucide et exigeante ». Au passage,
ils inventent beaucoup de choses. L’éducation de l’intelligence (dont l’objet
est de « faire de chacun une sorte d’expert,
capable d’y voir clair. ») tout d’abord. Ils estimaient que « le mérite s’apprenait », il n’était
plus héréditaire. Ils créent aussi la grammaire, la logique, un début de
médecine, les sciences humaines, et politiques. L’intérêt de l’homme étant de
suivre les lois de la cité, ils sont législateurs et constitutionnalistes. « Ils étaient engagés, prêts à agir et à
prendre des risques ». Ils marquent leur époque, qui parle comme eux,
et ses arts. Jusqu’à la pensée de Platon, qui serait leur négatif. « Cette démarche est empirique et réaliste. Elle
constitue l’inverse de celle de Platon, pour qui tout est commandé par des
principes, correspondant à des exigences intellectuelles et morales. »
S’ils ont mauvaise presse aujourd’hui, c’est peut-être qu’ils
ont vécu à une période égoïste (« L’ambition
d’Athènes, apparemment, libérait les ambitions privées. »), où des
individus mal intentionnés, pour promouvoir leurs intérêts personnels, se sont
servis de l’enseignement des sophistes contre son esprit.
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