Michel
Serres m’avait réconcilié avec le monde, mais Hannah
Arendt a ramené mes idées noires. Ma lecture des ouvrages traitant de l’évolution
de la société me fait croire, en effet, à une tentation d’oppression de l’homme par la
société. Ce qui est aussi son idée.
Plusieurs hypothèses me sont venues en tête pour expliquer ce phénomène. La première est que cette oppression est une loi de la nature. Le rôle du constituant n’est-il pas d’être asservi au tout ? Ne faisons-nous pas souffrir nos cellules ? Mais il est aussi possible que la société humaine obéisse à un principe dangereux. La « banalité du mal » d’Hannah Arendt ? Mon exploration de la sociologie des organisations m’a fait aller de surprise en surprise. D’abord, j’ai découvert que je parlais comme la pensée chinoise. Puis j’ai compris que je rejoignais aussi la pensée allemande d’avant guerre. Son originalité était en effet d’avoir exploré la dimension sociale de la vie. Maintenant, je comprends, à ma grande surprise, que les plus avancés dans les sciences de la société sont les Anglo-saxons. Non seulement, les sciences de la manipulation sont étudiées dans les universités, mais The Economist est un champion de la technique du paradoxe, fondamentale dans l’art du changement. Ce qui est, en soi, un paradoxe : les Anglo-saxons ne sont-ils pas des individualistes forcenés ? Certes. Mais la contradiction n’est qu’apparente. Et s’ils avaient poussé si loin la science de la société pour mieux la manipuler ?
J’en arrive à une idée inattendue. Hannah Arendt oppose
communauté et société. Et si la communauté était l’héritière de celle des
chasseurs / cueilleurs ? Ils étaient à la fois égaux et solidaires, et se
voyaient comme une partie de la nature. Et si la société était héritière de l’invention
de l’agriculture ? Celle-ci a permis à des groupes humains relativement disparates
de vivre en grande partie isolés de la nature. Ils réagissaient aux crises
naturelles, d’autant plus violentes que cet isolement avait caché leur
approche, de manière défensive. Or, le moyen le plus simple pour répondre à une
crise n’est pas de chercher ce qui l’a causée pour pouvoir en tirer parti, mais
de demander à la communauté humaine de l’absorber. Autrement dit, de demander à
l’homme de changer, et non à la société. Et si l’invention de la société par
les agriculteurs avait aussi été celle de l’exploitation de l’homme par l’homme ?
(à suivre)
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