On me demande mon avis sur l'entrepreneur. J'ai observé beaucoup d'entrepreneurs. Échantillon significatif ? Voici, en tout cas, ce qui m'a marqué.
L'entrepreneur est un marginal. Il ne peut pas supporter la contrainte d'un emploi salarié. Et il tolère mal les lois sociales. Mais, pour préserver sa liberté, il est prêt à subir les pires privations. Il est même increvable. Voilà pourquoi, contrairement à ce que l'on croit, il y a énormément d'entrepreneurs pauvres. En fait, je me demande si cette soif de liberté ne prend pas un chemin détourné. L'entrepreneur croit à sa bonne étoile. A tout instant, il poursuit un projet. Et c'est ce projet qui fait qu'il est aveugle au péril qu'il traverse. Il est sûr qu'il va réussir. Il ne compte pas. Il n'y a que le manager professionnel qui sache compter.
L'entrepreneur n'est pas rationnel. Il a peut-être un projet, mais il le mène par le chemin des écoliers. Apparemment, en se faisant tenter par tout ce qui passe à proximité. En fait, il ressemble à un joueur de go ou à un artiste. Il perçoit ce que nous ne voyons pas. C'est le phénomène que l'intelligence artificielle de ma jeunesse appelait, faute de pouvoir le comprendre : "pattern recognition". Il crée un monde. J'ai noté que ses clients, souvent, n'en sont pas. Ce sont des amis. Ils forment un réseau dans lequel on se rend service. Et ça finit par faire des affaires. Il y a très longtemps, par exemple, j'ai fait des études sur les processus d'achat dans le BTP. Eh bien les entreprises du BTP ont un tout petit nombre de fournisseurs, qu'elles conservent depuis des décennies. Et elles sont relativement insensibles au prix. Mais pas au coup de Jarnac.
La grande réussite est un déchirement pour l'entrepreneur. Il doit se réinventer avec son entreprise, au fur et à mesure qu'elle croit. Un peu comme un conducteur qui doit adapter ses réflexes aux caractéristiques de voitures de plus en plus puissantes. Est-ce parce qu'il a créé une entreprise pour échapper aux lois sociales, et que celles-ci reviennent ainsi par un chemin détourné ? C'est souvent au dessus de ses forces. Du coup son entreprise reste petite.
"Every entrepreneur's like a setting sun." L'entrepreneur est généralement incapable d'organiser sa succession. Comment renoncer au monde qu'il a créé ? Le bateau sombre avec le capitaine ! Ne serait-ce que, parce que s'il choisit un successeur, c'est pour son incapacité à réussir. Car, il ne veut pas que l'on touche à son oeuvre. Car le seul moyen de la sauver est de la transformer. Et voilà pourquoi :
L'entreprise française a été construite autour de son fondateur, elle en est un prolongement. Or, il est exceptionnel. En particulier c'est souvent un commercial hors pair. Mais on ne le sait pas. Probablement parce que sa passion de son métier le rend irrésistiblement convaincant. Pour prendre sa suite, il faut :
- quelqu'un qui ait une nature d'entrepreneur, ce qui est inversement proportionnel aux diplômes qu'il possède ;
- l'aider à acquérir ce qui lui manque pour réussir, c'est parfois une question de compagnonnage par un DG professionnel extérieur ;
- que l'entrepreneur successeur réinvente, à partir des atouts de l'entreprise, un nouveau projet entrepreneurial. Ce n'est que comme cela qu'il compensera les pertes irréparables que provoque le départ du fondateur.
Le faux entrepreneur. Vous êtes surpris ? Nous n'avons pas la même définition d'entrepreneur. Depuis la bulle Internet, et même Bill Gates, l'entrepreneur est un gosse de riche diplômé de ce qu'il y a de mieux (Harvard, Normale Sup...). Son talent ? Lever des fonds auprès d'un camarade. D'un coup d’œil, ils se comprennent. Ils savent tous les deux que la dernière mode va transformer le monde, et qu'ils sont les seuls à l'avoir compris. Voilà comment l'on devient très riche.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire