Voici ce que John Galbraith écrivait il y a plus de 50 ans :
Dans le modèle de la société concurrentielle, une telle insécurité était inhérente. Le producteur individuel ou le travailleur pouvait, à tout moment, souffrir un revers de fortune. Ceci pouvait être le résultat de la paresse ou de l’incompétence qui lui auraient fait perdre des clients ou son travail. Mais le meilleur des hommes pouvait souffrir d’un changement brutal du goût des consommateurs ou de l'inefficacité de son employeur. Ces changements de fortune imprévisibles étaient à la fois inévitables et imprévisibles. Ils étaient inévitables parce qu’ils faisaient partie de la capacité du système à s’adapter au changement. Comme les besoins et les désirs changeaient, les hommes trouvaient de nouveaux emplois et perdaient les anciens. Le capital était recherché dans les nouvelles industries et passé en pertes et profits par les anciennes. L’insécurité était utile parce qu’elle poussait les hommes – hommes d’affaires, travailleurs, indépendants – à rendre leur meilleur et plus efficace service, puisqu'une punition sévère était impersonnellement délivrée à ceux qui ne le faisaient pas.
Cependant, cette insécurité, aussi utile qu’elle semble en principe, était chérie presque exclusivement soit pour l’autre, soit de manière abstraite. Sa nécessité était jugée essentielle pour inspirer l’effort d’autres personnes en général. Elle semblait rarement vitale pour l’individu lui-même. Les limites à la concurrence et au mouvement libre des prix, la plus grande source d’incertitude pour l’entreprise, ont été principalement déplorées par des professeurs d’université à l’emploi garanti à vie.
(…) Dans la sagesse conventionnelle des conservateurs, la recherche moderne de sécurité a été longtemps dénoncée comme la plus grande menace au progrès économique. Ces peurs étaient les plus fortes au moment où de grandes avances dans la sécurité de la société coïncidaient avec une grande expansion économique.
Pour lui cette croyance s’expliquait par les conditions que les fondateurs de l’économie avaient connues il y a plus de deux siècles. Alors la pauvreté et l’insécurité régnaient.
Galbraith pensait qu’il s’agissait là d’un archaïsme qui finirait par disparaître. Or, non seulement il n’a pas disparu, mais il était encore la pensée unique il y a un an, et, comme le disait Galbraith, enseigné avec passion par les professeurs d’université (américains) disposant de la sûreté de l’emploi. Et cette pensée unique a guidé les décisions de nos dirigeants pendant plusieurs décennies.
Une autre interprétation possible : celle d’Edgar Schein. Ces idées ne sont pas des archaïsmes mais les « valeurs officielles » d’un groupe, ce à quoi il croît, ou plutôt qu’il désire. De même que « liberté, égalité, fraternité » sont désirés par le Français, non parce qu’ils reflètent quoi que ce soit de passé, mais parce que c’est une utopie qu’il aimerait réaliser pour corriger ce qui le fait le plus souffrir.
Ce qui rend fou l’homme riche, ou le professeur d’université, c’est probablement ce qui empêche un enrichissement personnel et un développement économique qui leur paraissent à portée de main. C'est la même frustration qui saisit le chercheur lorsque l'on ne lui donne pas l'argent que requièrent ses travaux. Seule explication possible : stupidité du peuple, pour lequel il n’y a pas de châtiments assez exemplaires. Jusqu’à ce que l’impensable se produise.
Compléments :
- La révolution française et l’ultralibéralisme récent semblent avoir tout deux été des crises de la raison : des esprits qui se jugeaient supérieurs ont voulu imposer par la force ce qui leur semblait évident (Consensus de Washington).
- GALBRAITH, John Kenneth, The Affluent Society, Mariner Books, 1998.
- SCHEIN, Edgar H., The Corporate Culture Survival Guide, Jossey-Bass publishers, 1999.
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