mardi 22 décembre 2009

Copenhague

Pourquoi la conférence de Copenhague a-t-elle suscité chez moi si peu d’intérêt ? Peut-être parce que je m’attendais à ce qui s’est passé. Le phénomène ressemble beaucoup à celui que l’on retrouve dans la conduite du changement.

Anxiété de survie artificielle

Ce qui a frappé peu d’observateurs, c’est la capacité du monde à s’inquiéter sans raison apparente. Un des succès de la science est de nous faire peur avant que quoi que ce soit nous arrive. Bien sûr, une catastrophe, par exemple un désastre en Asie du sud est déclenchant une guerre et ébrenlant cette région explosive, aurait conduit plus rapidement à un accord. Mais la science a tout de même réussi à enfermer toutes les nations du monde dans une même pièce pendant plusieurs jours.

De l’émotionnel au rationnel

Ce qui a encore moins frappé les observateurs, c’est que nous savons mettre le problème en équations.

  • Éviter une augmentation de température de plus de 2°, c’est 1000md$ / an.
  • Les techniques de réduction des émissions sont connues. Nous sommes parvenus à réduire l’émission des CFC, qui attaquaient la couche d’ozone, bien plus vite que prévu. Il peut en être de même pour les gaz à effet de serre. Parmi ceux-ci, le CO2 ne représente que 50% des émissions. Il y a aussi (Unpacking the problem) :

  1. La déforestation
  2. Le méthane, émis par les animaux, susceptible d’être réduit par un régime alimentaire adapté.
  3. Le carbone, qui résulte de l’usage du Diesel et des systèmes de chauffage des pays pauvres (bois).
  4. Les HFC produits par quelques industries et qui pourraient être traités comme les CFC.

Curieusement tous les changements procèdent de cette façon : après une phase irrationnelle, une modélisation du problème puis des équations émergent et le changement se réduit à leur résolution. C’est ce que je vois, mission après mission, c’est aussi ce qu’observe Governing the Commons.

Anxiété d’apprentissage

Si Copenhague a échoué, c’est que l’anxiété de survie n’est pas tout. Il y a aussi l’anxiété d’apprentissage. La réduction de l’émission de gaz à effet de serre demande une réorganisation de l’économie et de la vie des nations.

Le premier réflexe humain est de tricher (« innovation » de Merton). En dépit de l’accord de Kyoto les émissions ont augmenté de 20% en dix ans, notamment parce que les industries polluantes ont été installées dans les pays en développement et que l’économie russe s’étant effondrée dans les années 90 a pu vendre ses droits à émettre aux pays occidentaux. La caractéristique des énergies sales, c’est qu’elles coûtent extrêmement peu à utiliser, c’est donc le choix naturel du marché. Les énergies propres ne peuvent se développer sans volontarisme étatique. (The green slump.)

L’avenir

Finalement, peut-on faire une prévision ? Je vois ainsi les anxiétés d'apprentissage :

  • Les pays en développement ne bougeront pas s’ils ne reçoivent pas d’argent. Il y a un débat sur le montant des versements. (Closing the gaps.)
  • Le régime dictatorial chinois, contrairement aux démocraties, peut aisément mettre en œuvre un changement brutal ; en outre il semble vouloir faire de la Chine un champion de l’énergie propre. Il est possible que ce que nous percevons des réticences chinoises ait des motifs essentiellement tactiques (faire payer l’Occident pour l’affaiblir ?). (A long game.)
  • L’Amérique affronte des difficultés plus complexes : le changement appauvrirait massivement certaines catégories de sa population, dont le vote contrôle le sénat (Pauvres Américains). L’absence de structure de solidarité empêche que le choc soit réparti sur la nation. C’est le modèle américain qui gène le changement. Il risque donc d’être long. (L’Amérique et la réglementation des émissions : Cap and tirade.) Or, le monde ne bougera pas sans l’Amérique.

(à suivre)

Compléments :

  • J'ai modifié cette note a posteriori : sa première version parlait d'un montant de 1000md$ d'un coup, alors que c'est par an (j'ai mal relu mes griffonnages que j'aurais du retranscrire immédiatement !!). Du coup, je ne comprenais plus pourquoi on faisait un tel battage de cette question. (D'ailleurs, une autre partie de mes notes parle d'un pourcent du PIB/an). Merci à Julien d'avoir repéré l'erreur.

3 commentaires:

Julien a dit…

Un petit élément, pour participer au débat. De très nombreux observateurs font, à mon sens, la même erreur que vous à propos des dépenses : "$1000 bn, c'est l'équivalent du plan d'aide aux banques l'année dernière".

Le premier élément, qui est l'argument le moins fort, c'est qu'il faudrait recommencer tous les ans, ce qui en 40 ans (jusqu'à 2050) ne manquerait pas de représenter une dépense significative, même à l'échelle du monde. Il y a une différence entre faire les choses une fois, ce qu'on peut se permettre au niveau mondial, et 40 fois.

Mais surtout, ce que les gens et même les commentateurs ne voient pas, c'est que l'aide aux banques était constitué de _prêts_ remboursables à court terme, et de prises de participation desquels il est possible de sortir aussi rapidement. Moralité : la quantité d'argent nécessaire est significativement moindre, comparée à une _dépense_ renouvelée tous les ans. Dans le premier cas, l'argent "revient dans les caisses" régulièrement, avec dans le meilleur des cas des intérêts, pour en ressortir immédiatement pour financer l'aide suivante. Dans le second, il s'agit à chaque fois d'une dépense nouvelle et l'argent part définitivement, pour des pays étrangers, avec des effets très limités sur l'activité économique et donc les impôts des pays développés.

Julien a dit…

Pour illustrer ma démonstration par un chiffre, si on admet que le remboursement des prêts/sortie de prise de participation a lieu sous 3 ans (les grandes banques américaines n'ont mis que 1 an pour rembourser les aides TARP), alors, sur 40 ans, la sortie d'argent pour une aide est 40/3 = 13.3 fois supérieure comparée à un prêt.

Soit au total, une dépense 40*40/3 = 532 fois supérieure à l'aide des banques américaines l'année dernière. Soit quelque chose de significatif...

Christophe Faurie a dit…

Merci beaucoup pour vos commentaires. Effectivement ce que je dis n’est pas correct. Le coût est récurrent (un autre chiffre donne 1% du PIB mondial ; PIB mondial = 60.000 md$ d’après Wikipedia). Pour être honnête, j’étais surpris que ce soit si peu. Je ferai plus rigoureusement mon travail la prochaine fois !
Mais est-ce que le 1% est une perte ? Ne serait-ce pas plutôt un investissement ? Il me semble que l’économie mondiale est en train de se réorienter vers un nouveau type de production, c’est un changement, il faut qu’elle s’adapte, mais ça ne signifie pas que ce soit un mal absolu pour le monde. D’ailleurs, la plupart des gouvernants mondiaux estiment que cette réorientation est une chance, et beaucoup de multinationales et d’entrepreneurs cherchent à l’exploiter. J’ai déjà rencontré quelques succès prometteurs.
Et qu’est-ce que 1% si l’avenir de l’humanité est en jeu ? Ou simplement si une catastrophe climatique créait des guerres, du terrorisme… ?
De manière surprenante votre argumentation reprend quasiment au mot près celle du sénateur américain Bob Corker : « ce que ça signifie en code (…) est que nous transférons de la richesse de nos entreprises et de nos citoyens … pour augmenter le prix du carbone et envoyer de l’argent à l’étranger » (The Economist dans l’article Cap and Tirade dont je parle dans le billet).
Je pense qu’elle indique effectivement que l’anxiété d’apprentissage liée à la négociation est élevée.
La résistance au changement actuelle vient de ce que certaines parties de la population mondiale ne savent pas encore se tirer du problème dans lequel les mettraient les solutions qui sont avancées à droite et à gauche. La résistance au changement est une demande d’aide. Le jour où les agriculteurs américains, par exemple, comprendront comment ils pourront continuer à vivre de leur ferme, sans émettre des masses de CO2, ils ne demanderont plus à leurs élus de s’opposer aux mesures de l’administration américaine.
Bref, il y a encore du travail de mise au point.