jeudi 31 décembre 2009

Changement et entreprise : un bilan

Qu’il s’agisse de mon expérience personnelle ou de celle des (nombreux) consultants que je rencontre, je vois des thèmes récurrents quant aux problèmes que le changement pose à l’entreprise :

Souffrance

Ce qui était inattendu est que ce que l’on dit de France Télécom se retrouve quasiment partout, aussi bien dans le public que dans le privé. Avec des manifestations qui se répètent : employés stressés, perdus ; managers qui « ne communiquent pas » ; syndicats qui revendiquent ; dirigeants agacés, interloqués et inquiets de ces manifestations menaçantes…

Paradoxalement, alors que les entreprises semblent tétanisées, incapables d’initiative et d’innovation, beaucoup de gens me parlent de dirigeants qui, incompréhensiblement, se désintéressent des sujets de survie essentiels, qui ne savent pas trancher, et qui pourtant ont une fièvre d’activité, donnant sans arrêt des ordres contradictoires, chacun devant être accompagné d’une mise en œuvre immédiate et dans des conditions irréalistes…

On me dit aussi que les organisations n’ont que la peau sur les os : les courroies de transmission internes ont disparu. Il devient quasiment impossible de réaliser des changements sans ressources externes.

Pourquoi les changements échouent

Ces derniers temps, je rencontrais surtout de grands changements stratégiques. Je n’avais pas compris à quel point l’entreprise était parcourue de changements organisationnels. En fait, elle semble effectuer un reengineering permanent de ses procédures. On retrouve partout des caractéristiques similaires :

  • Une excellente méthodologie de gestion de projet qui cale très vite du fait d’une sous-estimation de la complexité du changement. Ce qui fait échouer le changement n’est pas tant la résistance de l’organisation que la nouvelle procédure que l’on veut mettre en place qui n’est pas au point (sous estimation de la complexité des procédures à remplacer d’où système d’information mal paramétré, bugs, etc.). D’où retards (généralement +50 à 100%), dysfonctionnements, malaises sociaux, action syndicale, etc. Quand la procédure finit par marcher, on ne se souvient plus que du calvaire qu’a été le changement.
  • Un manque de courage terrifiant. Tous ces projets, qui coûtent très cher, ont pour but des gains de productivité : faire la même chose avec moins de personnel. Mais, on a peur d’un « mouvement social », on ne le dit donc pas. D’où deux effets redoutablement pervers :
  1. l’organisation se rend compte du danger, et contribue le moins possible à son succès, or, c’est elle qui a le savoir qui permettrait de détecter et de corriger rapidement ce que les nouvelles procédures ont d’irréaliste ;
  2. les gains n’étant pas annoncés, ils ne sont pas réalisés : les ressources qui devaient être dégagées sont souterrainement captées par d’autres besoins.

La gestion de projet immobilise des surdiplômés à gros salaires, il faut des logiciels et des consultants, on doit compenser les surcharges de travail dues aux dysfonctionnements ci-dessus par des embauches d’intérimaires… tout cela pour économiser des salaires de Smicards !… L’argent consommé par ces projets n’aurait-il pas été mieux employé ailleurs ?

Gestes qui sauvent

Que faire ?

  1. Pas possible d’y couper : il faut annoncer à l’organisation le gain de productivité : dans deux ans nous aurons réduit les effectifs dédiés à telle procédure de X%. Or, pour que le projet réussisse, on a besoin que les X% travaillent avec une motivation exceptionnellement grande à éliminer leur emploi ! Pour y parvenir, il faut annoncer clairement ce que l’on attend d’eux, et le processus de « réorientation » qui leur est proposé, et qui demandera leur participation active (qu’il y ait licenciement ou pas). Le succès du projet dépend de si oui ou non l’organisation trouve ce qui lui est proposé crédible et motivant. Le concevoir demande une bonne connaissance de la culture de l’entreprise et de ses personnels, et un peu de talent.
  2. À ce point, le plus gros est fait. On peut alors utiliser l’organisation pour construire un plan d’action de déploiement du projet qui lui évitera l’essentiel des problèmes qu’il aurait eus sinon.

Tous les changements peuvent être rattrapés

Il y a cependant une très bonne nouvelle dans ce bilan : ce que l’entreprise prend pour un échec n’en est pas un.

Les conditions de gestion de projet sont telles que ceux qui en sont responsables sont usés, ils n’ont qu’une hâte : achever le projet. Du coup, ils oublient d'appliquer la méthodologie prévue. Par exemple, les formations ayant été impossibles, il n’est plus question de formation !

Or, même s’il ne s’est pas déroulé comme désiré, le projet a quasiment réussi : les moyens (par exemple système d’information) sont là et fonctionnent ; les personnels les utilisent, mal, mais les utilisent quand même. Il ne reste donc qu’à apporter le petit peu nécessaire à une appropriation définitive. Ce qui signifie, simplement, appliquer les procédures de « conduite du changement » prévues, mais que l’on a oubliées du fait des aléas du projet.

Changement et dirigeants

Un paradoxe pour finir. Cette année m’a fait rencontrer tous types de populations confrontées au changement : groupes de dirigeants généraux, comités de direction, cadres intermédiaires, employés. L’aptitude au changement d’une personne était à l’exact opposé des a priori. J’avance les hypothèses suivantes :

  1. Les employés sont soumis à des changements permanents (France Télécom traverse des changements majeurs depuis une quinzaine d’années), du coup ils ont appris à changer. Par ailleurs leur niveau d’éducation est beaucoup plus élevé qu’il ne l’était il y a 20 ans, ce qui est très favorable au changement. Enfin, les changements sont souvent informatiques, or Internet est partout. À noter que j’ai rencontré quelques entreprises de culture ancienne, jusque-là protégées, et que je prenais pour des cas désespérés.
  2. Les dirigeants, eux, font un travail qui finalement a peu évolué au cours des décennies : réunions, déjeuners, gestion financière… Le personnel important qui les entoure leur évite souvent d’entrer en contact avec ce qui fait l’ordinaire des changements : ordinateurs, logiciels… Je me demande même si la rupture électronique ne s’est pas faite à l’envers de ce que l’on craignait. Cela explique peut-être pourquoi ils sont aussi mal à l’aise quand le changement les concerne. Leur premier réflexe est de le refuser.
Compléments :

  • En fait, ce billet ne fait que répéter ce que disaient d'autres billets vieux de plus d'un an ! Comme quoi sans l'expérience vécue les mots ne sont que de la théorie. Un article sur l'application du Toyotisme en France, et l'analyse d'un médecin du travail.


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