dimanche 10 janvier 2010

Quotas et grandes écoles

Le gouvernement voudrait qu’il y ait 30% de boursiers en Grandes Ecoles, ce à quoi leurs directeurs répondent que les quotas diminuent le niveau du recrutement, ils sont désignés à la vindicte populaire. Curieux, me suis-je dit : les grandes écoles se sont toujours affirmées élitistes, or, brutalement, elles sont accusées de l’être ! Et pourquoi les boursiers n’arrivent-ils pas à entrer en Grande Ecole : du temps de mes parents, c’étaient les meilleurs élèves ? Pourquoi la discrimination réussirait-elle en France alors qu’elle échoue aux USA ?...

Un problème mal posé
J’ai voulu creuser la question (la suite repose principalement sur : Les grandes écoles incitées à repenser leurs concours - LeMonde.fr). En fait le raisonnement suivi implicitement semble être :
  1. les grandes écoles fournissent les positions sociales les plus désirables ;
  2. l’on veut que ces positions ne reviennent pas de fait aux enfants de ceux qui les détiennent déjà, qu’il y ait un certain brassage de la société ;
  3. les matières qui servent à la sélection des élèves des grandes écoles (de l’orthographe aux mathématiques, selon Mme Pécresse) favorisent les enfants aisés.
Rien dans ce raisonnement ne va de soi. Les hypothèses qui le sous-tendent paraîtraient contre nature partout ailleurs qu’en France. Elles expriment, en particulier, la vision d’un monde organisé comme une bureaucratie.
Implicitement, l’objectif du gouvernement serait de revenir à la situation des années 50 où, d’après un député PS cité par l’article, 29% des diplômés de grandes écoles étaient de milieux populaires (définition ?), contre 9 aujourd’hui.
Comment expliquer ce revirement ? Les mathématiques, les langues, la culture générale étaient-elles moins discriminantes dans les années 50 ? Ou l’Eduction nationale ne sait plus les enseigner à tous comme jadis. Il semblerait que Mme Pécresse en vienne à se demander si elle n’a pas parlé un peu vite : « il faut repérer les talents, comme cela se faisait sous la IIIème République et les faire grandir ».
Mais elle dit aussi « qu’il faudrait réfléchir à des épreuves qui valoriseraient l’intensité du parcours du jeune, son mérite réel ». Comment évaluer objectivement un mérite ? (Que signifie « mérite » ?) Les critères de sélection du mérite ne sont-ils pas beaucoup plus facilement manipulables que les mathématiques ?
D’ailleurs, dans l’inconscient français le mérite est inné, l’Education nationale est là pour l’identifier. Dans l’inconscient anglo-saxon, le mérite se démontre par la réussite de l’action individuelle, l’école doit (éventuellement) apporter des outils utiles à l’élu. Sans le dire nous sommes en train de basculer d’un modèle vers l’autre. Si nous le faisons, il faudra procéder avec prudence : le système américain est, selon nos critères, inacceptablement inégalitaire. Il tend, paradoxalement, à être un régime d’héritiers.
En résumé, le problème que pose implicitement le gouvernement semble être :
  • Faut-il conserver le modèle culturel français traditionnel, et alors comment ramener l’éducation nationale à son niveau d’efficacité des années 50 ?
  • Faut-il adopter un nouveau modèle culturel ? Lequel ? Comment l’adapter chez nous sans qu’il ait des conséquences que nous refusons ?
L’erreur est humaine…
Au fil de ses réformes, l'algorithme suivant paraît expliquer le comportement du gouvernement :
  • Il identifie un problème, trouve un coupable qui en serait la cause (mais pourquoi ne l’avait-on pas vu plus tôt ? se dit-il, que le monde est donc stupide !) déclenche une guerre civile, et découvre alors que le dit coupable n’est que la partie émergée d’un phénomène extrêmement complexe.
  • Surtout, il semble schizophrène : il parle d’un retour à la IIIème République, tout en rêvant de basculer dans le modèle anglo-saxon.
Qu’a donc appris l’Education nationale à nos gouvernants ? à penser ? à agir ? Est-ce ses critères de sélection ou son enseignement qu’il faut réformer ?

Compléments :
  • C’est Hervé Kabla qui m’a lancé dans cette réflexion.
  • Au passage, un exemple de changement réussi, à la française : « l’objectif de 30% de boursiers en classes préparatoires, déjà atteint en partie grâce au relèvement du seuil d’obtention des bourses ». (Les grandes écoles dans la tourmente.)

2 commentaires:

Herve a dit…

Il y a pas mal de données mal cernées dans ce débat. Déjà, la proportion d'élèves boursiers, en chute libre: ne signifie-t-elle pas quelque part que la société française, dans son ensemble, tant vers une moyenne de plus en plus large, et que les extrêmes s'en écartent de plus en plus? Il y a 30 ans, les classes sociales les plus défavorisées ne représentaient-elles pas une plus grande partie de la population?

Poursuivons. On admet que les "descendants" des élites sont en meilleure position pour réussir au concours. Est-ce dû:
1- à un facteur génétique? bof...
2- à une plus grande disponibilité de ces élites vis a vis de leur progéniture? j'en doute, au vu de mes horaires
3- à une sélection par l'école? Là aussi, peu probable, les lycées du 16e et de Neuilly ne sont pas forcément ceux que je choisirais si je devais briguer une grande école

Non, à mon avis, ce débat ne fait que cacher une grande disparition: la motivation des enseignants à pousser leurs élèves sur le chemin de longues études. C'est là que quelque chose s'est cassé.

Christophe Faurie a dit…

C'est vrai. Je pense que cette histoire de motivation est très importante.
D'ailleurs ça explique peut-être beaucoup de choses: avant les "meilleurs" élèves étaient poussés par leurs profs. Maintenant, plus rien. Ce qui suffirait aux familles les plus motivées pour avoir un avantage concurrentiel déterminant. Par ailleurs, si, globalement, le niveau des lycées a baissé, il a beaucoup plus baissé en banlieue que dans les "beaux quartiers", si j'en juge par ce que je peux voir autour de moi.