La question du contenu gratuit (dernier billet) me rappelle l’histoire de Jeffrey Skilling, gourou d’ENRON (EICHENWALD, Kurt, Conspiracy of Fools: A True Story, Broadway Books, 2005.) :
Parce qu’il trouvait que, en dépit de son talent, il n’arrivait pas à faire grimper rapidement les revenus d’ENRON, il a eu une idée de génie : le « mark to market », comptabiliser un contrat d’approvisionnement en énergie non chaque année, en fonction de ce qu’il rapporte, mais d’un coup, en inscrivant son chiffre d’affaires total (estimé et actualisé).
C’est comme si Peugeot, à la sortie de sa première 308, avait ajouté aux revenus de l’année le prix des 3 millions de 308 qui seraient vendus, probablement.
L’idée de Skilling a été jugée recevable par les autorités compétentes. Cependant, elle avait un effet pervers : si elle gonflait ses résultats (un contrat dure une vingtaine d’années), elle forçait ENRON, l’année suivante, à repartir de zéro. Ce qui n’est jamais une bonne idée quand la bourse est habituée à une croissance continue. C’était un stimulant efficace à l’adoption d’une comptabilité créative.
Je me demande si, lors de la Bulle Internet, une personne n’a pas eu un trait de génie qui ressemble à celui de Skilling : et si le contenu était gratuit ? Et s’il fallait faire du volume d’abord, et si le chiffre d’affaires arrivait ensuite ? Pour la première fois une entreprise s’était affranchie du marché. Son argent allait venir des financiers, plus faciles à convaincre que le client (qui était enchanté de ne pas avoir à payer). L’idée a dû sembler élégante aux faiseurs d’opinion, et l’épidémie sociale démarrait.
Une partie de la population semble posséder la capacité de manipuler les règles sociales. Elle sait amener le reste de l’humanité à lui donner son argent. C’est d’ailleurs le mécanisme que Galbraith voit derrière le crash de 29, et que l’on retrouve aujourd’hui.
Qui sont ces gens ? Des shootés de l’enrichissement accéléré en mal de cause honnête ? L’équivalent de militaires, qui feraient un coup d’état faute de guerre où pratiquer leur métier ? Que faut-il faire pour prévenir le danger qu’ils nous font courir ? Revoir les ambitions que notre société donne à ses membres ? Faire que les contrôles de leurs actes soient le fait de la société et non d’une caste d’amis ?
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