vendredi 3 septembre 2010

Les racines intellectuelles du Troisième Reich

Mosse, George L., Les racines intellectuelles du Troisième Reich, Points 2008. Histoire de la pensée « Völkish ». Elle semble avoir beaucoup en commun avec la pensée nazie.

Elle serait née avec le romantisme du début du 19ème siècle, comme une réaction à la transformation de la société, aux bouleversements sociaux qui érodent la situation de la bourgeoisie et de l’aristocratie terrienne, et contre les idées qui sont à son origine, celles des Lumières. Elle s’est nourrie des frustrations et des épreuves subies par des hommes malmenés, méprisés, massacrés, divisés, pendant des siècles, par les événements de l’histoire, et qui aspiraient à retrouver la gloire de leur passé, et à fonder une nation.

Au progrès, et à l’espoir de l’avenir radieux promis par les Lumières, ils préfèrent le retour vers une sorte de paradis perdu, le Moyen-âge, époque où l’Empire Germanique est le défenseur des valeurs de l’Occident. À la raison, à la science, à l’individualisme, à l’urbanisation, au libre échange, au matérialisme, on oppose l’émotion, l’intuition, le corporatisme et le protectionnisme, le paysan comme source du bien, l’enracinement dans une culture commune, le « peuple » comme essence génératrice de l’individu le liant au « cosmos ».

C’est un mouvement bourgeois, élitiste, dont le vecteur principal a été l’intellectuel, l’enseignant, massivement victimes du chômage.

L’antisémitisme est son compagnon de route. Parce que le juif est un agent du progrès, et l’exécuteur des basses œuvres du capitalisme ? Parce qu’on jalouse sa réussite et on veut la lui voler ? Mais la question demeure théorique. Les Juifs sont vus par certains comme un peuple, qui doit vivre une vie séparée, voire rejoindre un concert des peuples. Pour d’autres, le Juif peut s’assimiler. Curieusement les Juifs sont attirés par le mouvement Völkish, ils envoient leurs enfants dans ses écoles, la pensée sioniste paraît s’en être inspirée. Était-ce une tentative crédible de réponse à des aspirations largement partagées ?

D’ailleurs, il semblerait que la révolution Völkish ait été perçue comme une révolution de la pensée, à l’image de la réforme de Luther. Utopie ? Mais elle faisait peur : elle refusait le capitalisme, donc l’édifice social.

Pourtant Hitler en a fait une réalité. Il a raccroché le mouvement Völkish aux deux composants de la société qui en étaient exclus : les masses et le grand patronat. Il a réalisé la « révolution allemande » attendue par les Völkish, mais sans bouleversement social inacceptable. L’axe du mal était le Juif. L’avènement du paradis germanique ne demandait rien de plus que son élimination.

Les sympathisants Völkish se sont ralliés au nazisme, à contrecœur et faute de mieux.

Commentaires :

Notre vision de la pensée Völkish est biaisée par son destin effrayant, et ses aspects ridicules (le Moyen-âge, les opéras de Wagner…). On en a fait une malédiction qui se serait abattue sur une Allemagne bouc émissaire. Une telle horreur n’est-elle pas inhumaine ?

Or ses idées sont présentes partout, depuis longtemps. Le romantisme c’est le bien, n’est-ce pas ? Et puis, à regarder de près les concepts fondateurs de la philosophie allemande, de sa sociologie, de son économie… une pensée que nous admirons tant aujourd’hui et qui a tant inspiré la pensée mondiale d’avant et d’après guerre, ne retrouve-t-on pas ceux de la pensée Völkish ? Mieux, les films de Capra ou ceux de Clint Eastwood ne nous montrent-ils pas des héros Völkish, des gens simples venus du peuple, de la campagne, aux convictions chevillées au corps… qui ramènent dans le vrai et le bien une société décadente, corrompue par l’illusion intellectualiste ? L’affrontement entre la France d’en haut et la France d’en bas, entre ceux qui pensent et ceux qui ressentent, entre Barack Obama de Harvard et Sarah Palin d’Alaska, n’est-ce pas la même chose ?

D’ailleurs, aussi terrible que cela puisse paraître, la solution qu’a trouvée Hitler aux aspirations allemandes n’était-elle pas la seule qui était acceptable à la société de l’époque ?

C’est peut-être parce que l’histoire est écrite par les vainqueurs que nous la voyons comme une progression ininterrompue vers la lumière. Mais ce fut un changement terrible, auquel a tenté de s’opposer une énorme majorité de la population mondiale, sa victime. (Si un grand nombre d'Allemands se sentait Völkish, beaucoup d'autres épousaient les thèses marxistes : ça laisse peu de monde pour défendre nos valeurs actuelles...)  Depuis le 17ème siècle notre histoire n’est que révolutions. Révolution anglaise, Révolution française, Communisme (Russie, Europe de l’Est, Chine…), Nazisme, et peut-être Consensus de Washington, avènement du capitalisme sur terre. Succession d’utopies désastreuses, de pestes sociales ?

Et si la cause de ce changement était la « raison » ? L’homme a cru qu’il devait construire le monde selon ce que lui dictait sa raison. Il n’a pas vu les conséquences de celle-ci. Comme le disait un romantique, triste victime du changement, Tocqueville :
tous pensent qu’il convient de substituer des règles simples et élémentaires, puisées dans la raison et dans la loi naturelle, aux coutumes compliquées et traditionnelles qui régissent la société de leur temps (…) dans l’éloignement presque infini où ils vivaient de la pratique, aucune expérience ne venait tempérer les ardeurs de leur naturel.
Et si notre histoire était celle de la découverte que la raison a des conséquences imprévues ? Et si, pour accepter cette réalité, cette raison avait eu besoin d'inventer les moyens de mesure des dites conséquences ? Et si le développement durable n’était rien d’autre que cela : la tentative de créer un monde qui obéisse à la raison, mais sans que cela ne nous retombe sur le nez ?