samedi 24 juillet 2021

Je et Tu de Martin Buber


Peut-être un traité de la relation à l'autre ? me suis-je demandé en écoutant Ayyam Soureau parler de Martin Buber. 

Je et Tu est un petit livre, qui, comme souvent en philosophie, affirme sans expliquer ce qui justifie ses affirmations. Comme les ouvrages d'Emmanuel Levinas, dont l'inspiration est proche, il a une forme quasiment poétique. Mais il est plus simple et plus aisé à comprendre que l'oeuvre de Levinas. 

Martin Buber est, effectivement, le philosophe de la relation. L'homme n'est, ne se forme, que par la relation qu'il a avec l'autre, et le monde. Mais cette relation le "Je Tu" n'est qu'épisodique, inattendue, miraculeuse. Puis, tout bascule dans le "Je Cela", la routine mécanique. Cela ressemble à Bergson parlant du temps. Le Je Tu est un moment anti-Kantien, d'ailleurs : l'espace d'un instant les deux composants de la relation pénètrent la nature l'un de l'autre, donc, la nature éternelle du monde. C'est ainsi que l'on trouve Dieu. Le sens de la vie, ce sont ces moments miraculeux. 

Comme dans La condition de l'homme moderne, d'Hannah Arendt, il y a des périodes, aujourd'hui en particulier, où le Cela s'étend sur tout. L'homme ne vit plus. Tout est réglé et mécanique. 

Commentaire

Qu'en dit ma pensée qui n'est que pratique ? Qu'il y a effectivement des moments où "il se passe quelque-chose". Et, surtout, des moments où j'ai l'impression d'être passé à côté de quelque-chose. Ce qui est généralement le cas. Pourquoi ? Faute de n'avoir pas été attentif. Mais surtout parce que j'ai été incapable de remettre en cause une sorte d'idée reçue, une pensée mécanique, de changer, quasi instantanément. Le Pygmée est dans le "Je Tu" avec la forêt vierge, de même que l'alpiniste et sa paroi, ou le navigateur solitaire et la mer ? En revanche, la science et, en particulier la physique, est dans le "Je Ça". Elle "artificialise" le monde.

C'est une question de "présence au monde" dirait un philosophe, ou comme je l'écris pour le changement "d'in quiétude" (en deux mots). Mais ce n'est pas que cela. 

Tabarly donne peut-être un bon exemple de ce que signifie être dans le "Je Tu". Un ouragan jette son bateau sur une côte. Il fait hisser toutes les voiles. Le bateau se met à l'horizontale. La quille ne touche plus le fond. Ce qui lui permet de repartir vers la mer. Il a subi des dégâts, mais il peut rejoindre son port. Pour moi, le "Je Tu", c'est, l'espace d'un instant, comprendre que tout ce que l'on croit depuis toujours est faux, et, surtout, trouver, et c'est là le miracle, ce qui est juste. Etre dans le "Je Tu", c'est parvenir à débrancher la raison, et à s'extraire du lavage de cerveau auquel nous soumet la société depuis nos origines. 

Et c'est peut-être pour cela que Martin Buber dit que ce sont ces moments qui nous forment. Car, à chaque fois, nous apprenons quelque-chose de fondamental. Nous nous débarrassons d'un bagage qui était, en réalité, un handicap. 

L'originalité de son oeuvre est de répéter que la relation est symétrique. Quand je suis dans le "Je Tu" avec l'ouragan, je lui apporte autant qu'il m'apporte. De même Dieu a besoin des hommes. Il n'y a pas de Dieu pour les légumes. 

L'histoire est peut-être une oscillation, une sorte de Yin et de Yang, entre des forces sociales qui tentent de nous transformer en choses, et une sorte d'élan vital qui veut nous empêcher de devenir des légumes. Il est d'ailleurs probable que, de toute manière, une victoire trop complète de la société conduit à des catastrophes, ce que l'on a appelé un temps "colère divine", et au réveil, en sursaut, du Je Tu. 

Quant à nous, pauvres individus, peut être qu'à force d'essayer, on parvient au Je Tu ?

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