J’entends parler de division des tâches à la radio. Et si le sujet était moins théorique qu'il n'y paraît ? La division des tâches est le principe même de la pensée d’Adam Smith, c’est sa justification de la globalisation : la richesse mondiale optimale sera atteinte quand chacun sera spécialisé. Adam Smith ayant essentiellement mathématisé la culture anglo-saxonne marchande, on peut imaginer que la division des tâches est profondément inscrite dans l’inconscient collectif anglo-saxon. Et, comme la France absorbe sans réflexion tout ce qui vient d’ailleurs, la question nous concerne.
Le concept n’a rien de théorique. L’université américaine est un exemple de son application. On y trouve des multitudes de disciplines qui ne se parlent pas, en contradiction avec l’esprit scientifique même. Les économistes, par exemple, qui décident de notre existence, ne peuvent pas supporter les sciences humaines, du coup ils font faire à la société des virevoltes criminelles (dont notre crise actuelle).
La division des tâches pousse à l’hyperspécialisation et à l’irresponsabilité. Chacun se réfugie dans un étroit domaine de compétence en espérant que Dieu (la Main invisible du marché) fera le bien à partir de son effort aveugle. Cette hyperspécialisation rend le contrôle impossible, puisque, par définition, personne ne comprend ce que l’autre fait. Du coup, elle met la société à la merci du parasitisme et de l’idéalisme (rappelons nous la période néoconservatrice). La division des tâches c’est mettre notre vie entre les mains d’experts incontrôlés.
Et encore s’ils étaient compétents ! Leur sélection se fait selon des processus, des règles humaines… qui sélectionnent des experts des mécanismes de sélection, non des esprits supérieurs ; des spécialistes du moyen, non de la fin. Comme le remarquait Rousseau, ceux qui ont fait de la science et de la pensée ce qu’elle est n’ont pas eu de maîtres. Ils ont créé leur univers.
Ce qu’il y a de curieux dans la pensée anglo-saxonne c’est son hypothèse fondamentale, qui est l’hypothèse implicite de l’économie moderne. Homme = outil de production, c’est tout. La richesse des nations selon Adam Smith (ce que l’on appellerait aujourd’hui PIB), c’est produire le plus possible. Les Temps modernes de Chaplin traduisent fidèlement cet idéal.
La pensée anglo-saxonne ne peut pas concevoir que ce qui fait la beauté de la vie n’est pas l’entassement de biens matériels. Pas plus qu’elle ne peut concevoir la notion de société ; que l’homme ne peut pas vivre comme un électron libre ; qu’il est intimement lié au groupe humain, sans lequel il n’est rien.
Bien sûr la France, toujours en retard d’une guerre, a copié servilement : on demande désormais à l’enfant quel est son « projet professionnel ».
L’homme doit être un citoyen. Et être un citoyen, c’est être capable de contrôler ce qui se passe dans la société, et donc de le comprendre. C’est apprendre à utiliser sa « raison » auraient dit Kant et les philosophes des Lumières. Je soupçonne que c'était le projet initial de l'Education nationale...
Compléments :
- Récemment des économistes respectables ont essayé d’utiliser les guerres napoléoniennes pour montrer qu’imposer une réforme en force était une bonne chose. Dommage qu’ils n’aient étudié ni l’histoire, ni la sociologie. How imposed institutional reforms can work.
- Sur l’utopie de base de l’économie, la rationalité individuelle, comme cause de la crise actuelle : Irrationalité du marché.
- Kant / Scruton, Le contrat social / Rousseau.
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