Déjeuner avec un consultant étranger. On lui a confié des cours dans une grande école d’ingénieurs prestigieuse. On lui a dit que ses élèves étaient brillants. Or, ils sont incapables de faire les choses les plus simples, qui ne posent aucune difficulté aux autres nations… Et, au lieu de chercher à s’améliorer, ils ne travaillent pas, et viennent même dormir en classe.
L’hypothèse suivante a surgi de la discussion :
En France l’école ne forme pas, mais sélectionne. Elle apporte un tampon qui permet de trouver un travail. Dans ce modèle, l’enseignant n’est pas porteur d’un savoir utile, mais un tortionnaire guidé par son seul bon plaisir. L’élève français n’attend rien d’utile de l’école, il pense qu’il sait.
Face à un tel public la pédagogie participative (celle des MBA américains) du consultant est en échec. Que doit-il faire pour susciter l’intérêt de ses élèves ? Si le Français croît son diplôme en jeu, il se mettra en quatre pour plaire au tortionnaire. Il se révélera excellent collaborateur. Mais est-ce l’objectif recherché ?
10 commentaires:
Je plussoie. Je n'ai rien foutu durant mes deux années à l'X, non pas à cause du niveau des peofs - excellent - mais parce qu'après deux années de sélection, on ne pense qu'à décomprimer.
Il y a beaucoup de vrai (à mon sens) dans cet article. Les formations sont souvent moins théoriques et plus pratiques à l'étranger, en comparaison du système des Grandes Ecoles françaises.
En fait, ce n'est peut-être pas propre à la France.
Il y a quelques années j'ai rencontré un diplômé de l'ultra élitiste université de Tokyo. Il m'a raconté que lorsqu'il leur a annoncé qu'il allait étudier à l'Insead, ses parents étaient effrayés: il n'avait strictement rien fait à l'université et ils étaient convaincus qu'il ne savait rien.
Je soupçonne que ce type d'enseignement correspond à une organisation sociale qui apporte tout à l'homme et qui ne lui demande pas de savoir grand chose.
Le processus de sélection aurait-il un rôle social ?
- Permettre de vérifier que l'homme a les capacités de tenir son rang ?
- Même office qu'un rite de passage : quand on a bousillé quelques unes des meilleures années de sa vie pour entrer dans un système, on lui est dévoué (selon le "principe de cohérence" de R.Cialdini)?
Tout, découle de la qualité de formation. Or, à mon sens, le plus grand défaut de la formation en France est de vouloir que les élèves s'adaptent à cette formation et non l'inverse. On passe notre apprentissage (scolaire, ou pire professionnel), à corriger nos défauts en fonction d'un système au lieu de valoriser nos talents, atouts et autres compétences. A cet égard, la France plus particulièrement, sélectionne n'estime et n'admet une légitimité qu'à ceux qui franchissent ses entonnoirs républicains mais si peu démocratique. C'est beaucoup une question de snobisme. Ouvrons l'acquisition de savoir à la spécificité !. On s'étonne du nombre de salariés qui s'ennuient mais l'équation est pourtant simple : ceux qui nient l'histoire sont condamnés à la revivre ; donc il est temps de changer les mentalités et valoriser les différences au lieu de vouloir l'autre toujours plus polyvalent. Sophie Henry
C'est vrai que notre système éducatif tend à vouloir nous faire entrer dans un modèle unique, sans essayer de comprendre nos richesses.
(Voir mon billet : http://christophe-faurie.blogspot.com/2011/05/lecole-francaise-etouffe-le-genie.html)
Ce qu'il y a de paradoxal dans cette affaire est que cela semble entrer en conflit frontal avec ce que voulaient les créateurs de ce système (voir mon billet de ce matin sur l'histoire du radicalisme), à savoir "l'essor de l'individu".
D'un autre côté, les bons sentiments post 68, qui probablement voulaient aussi faciliter notre épanouissement, ont abouti à ce qui me semble un échec cuisant : non seulement nous ne sommes pas épanouis, mais l'ascenseur social est plombé. (http://christophe-faurie.blogspot.com/2010/12/education-nationale.html)
Je crois que la situation décrite dans votre billet n'est pas spécifique aux grandes écoles : les cours de TD en université se passent-ils vraiment différemment ?
En réalité, grande école ou pas, ces étudiants n'échappent pas au modèle global de l'enseignement à la française : passivité face au savoir, difficulté à organiser la connaissance et à y trouver du sens. L'origine du phénomène est à chercher à mon avis dans les enseignements primaire et secondaire : l'enseignement supérieur ne fait que constater les dégâts, en tentant (plus moins selon les filières) de rattraper les manques.
Résultats : des gens qui restent marqués par cette "passivité" face à l'enseignement. J'anime de temps à autre des formations en entreprise, et je suis toujours frappée par l'ambiance radicalement différente entre un public français, et un autre public européen (anglais, néerlandais, etc.). D'un côté, très faible interaction en séance, des participants qui face au formateur-prof retrouvent leurs "réflexes scolaires" d'antan. De l'autre, des discussions, des questions, des gens qui bousculent parfois l'animateur pour obtenir le maximum d'informations au regard de leurs attentes.
Je vous rejoins dans votre constat ci dessus : les bons sentiments post-68 ont fait des dégâts, en confondant "égalité" (la même chose pour tous) et "équité" (mêmes chances pour tous).
Je retrouve mon expérience dans votre commentaire.
J’enseigne depuis des années en grande école et à l’université (actuellement en Master2 à Dauphine), et, encore plus, en entreprise.
Mes cours sont appuyés sur un solide socle scientifique, que je n’ai pas cessé d’enrichir depuis ma sortie de l’école, et pourtant j’ai tout de suite compris que la première difficulté que j’avais à franchir était de prouver ma crédibilité.
Le phénomène est curieux : un directeur général adjoint m’a récemment reçu en me disant qu’il allait m’apprendre ce qu’était le changement (en fait il pensait que le changement est celui des rivières, qui ne sont jamais les mêmes).
D’une manière générale, les participants aux formations ne viennent pas pour se former, mais pour me juger. S’ils ne comprennent rien, c’est de ma faute. Par défaut, ils pensent que je suis un escroc et qu’ils en savent plus que moi.
Depuis les origines de ce blog je me demande si cela ne vient pas d’un type de relation sociale particulier à la France. Michel Crozier parle de « bon plaisir » (au sens de l’Ancien régime) : celui qui a le pouvoir en fait à sa tête. Par conséquent, « l’inférieur » n’a aucune considération pour lui. Par contre, il sait aussi que, dans certaines circonstances, il doit obéir à l’arbitraire. (Notre tendance à la collaboration ?)
Deux remarques:
- je rencontre de plus en plus d'anciens "grandes écoles" tentés, après 20 années en entreprise, par l'enseignement. ESSEC, X, Centrale, à croire qu'après 20 ans de powerpoint et de management, ils ont envie de retrouver leurs passions initiales
- le jour où les profs seront payés au même tarif que des professions plus "honorées" (comme ingénieur par exemple), alors les gens choisiront l'enseignement non plus par dépit, mais par passion (2e fois que j'utilise ce terme, tu remarques...) Et ce jour là, on retrouvera des cours et des élèves passionnés (3e) et passionnants (4e).
Je ne suis pas loin d'être d'accord. Cependant, je pense que plus qu'une question de salaire, c'est une question d'estime sociale.
Dans le passé les ingénieurs (de l'Etat) et les enseignants étaient mal payés, mais ils étaient fort considérés... C'étaient des sortes de missionnaires de l'intérêt général.
Le jour où les 4 professions suivantes seront les plus estimées: profs, médecins, flics et militaires, réveille-toi, tu sera en Turquie
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