Le livre qui a valu beaucoup d’ennemis à Hannah Arendt, et,
peut-être, la célébrité. Elle instruit et elle juge. Accessoirement Eichmann,
mais, principalement, Israël, le monde et la justice.
Il est difficile de ne pas conclure des ses observations que
ce procès résulte d’un accord entre l’Allemagne et Israël. L’Allemagne sacrifie
un lampiste, suicidaire d’ailleurs, contre la tranquillité pour ses autres
ressortissants. Israël organise un procès à grand spectacle, qui marque la
naissance d’une nation. Et, comme semble le dire Ben Gourion, que ce procès soit
une mascarade fait partie du jeu : une nation puissante se moque de
la justice. Elle fait sa loi.
Qui est Eichmann ? Un raté en mal de destin. C’est la
brebis galeuse d’une famille bourgeoise. Il est impropre aux études. Il croupit
dans des emplois sans intérêt. Jusqu’à ce qu’il entre au parti nazi. Le
hasard fait qu’il va être chargé de la question juive. Il lit les textes
fondateurs du sionisme. Il est impressionné. Il veut trouver une terre pour les
Juifs. Et, il se révèle un logisticien hors pair. Il a alors une promotion
fulgurante. Jusqu’au grade de lieutenant-colonel. Mais il n’ira jamais plus
haut, ce qui est le drame de sa vie. Puis c’est l’heure de la solution finale.
Eichmann fait contre mauvaise fortune bon cœur. Qui est-il pour juger ? Il
organise maintenant des déplacements vers les camps d’extermination. Après
guerre, il fuit en Argentine. Mais il retombe dans l’anonymat. Il dépérit. Son
enlèvement par les Israélien est un soulagement. Et son procès est une confession.
Pourquoi sa vie a-t-elle été un échec ?, se demande-t-il. Pourquoi sa
carrière a-t-elle connu un plateau ? Il ne lui vient jamais à l’esprit qu’il
a conduit à la mort des millions de personnes. Il s’excuse même d’avoir fait
une entorse à son devoir pour sauver quelques Juifs (notamment de sa famille).
Le plus curieux est qu’il
n’y a pas eu de héros. Les nations ont réagi en bloc. Il y a eu celles qui ont
dit oui à l’extermination, et d’autres non. Et lorsque c’était non, les Nazis
ne pouvaient pas faire grand-chose. Il y a eu d’ailleurs plusieurs façons de
dire non. Franchement, comme au Danemark. Ou en disant oui, mais en ne faisant
pas, comme en Italie. Quant à la France, elle a été séduite par la théorie,
mais elle n’a pas voulu s’associer à une liquidation de masse. L’Allemagne, elle, est passée par plusieurs
stades. Dans une première phase, chacun fait de la surenchère pour plaire au
chef. Puis, lorsque les choses commencent à mal tourner, on organise la désobéissance.
D’abord, on essaie de monnayer le Juif, puis en désespoir de cause de le
libérer afin de prétendre que l’on est un bienfaiteur de l’humanité. Eichmann,
lui, désapprouve ce désordre et désobéit à ceux qui désobéissent. Autre
étrangeté, il semblerait que non Juifs et Juifs allemands soient d’accord sur un point :
il y a des Juifs éminents que l’on doit sauver, on peut se
passer des autres ! D’ailleurs, ce qui a dû choquer l’opinion à l’époque est ce qu'Hannah Arendt dit de la
technique employée par les Nazis pour faire que des millions de personnes
partent en bon ordre à la mort. Ils organisaient des Conseils juifs et leur
demandent d’organiser la dite déportation. Pour le reste, ce n’est qu’une
question de moyens de transport. Apparemment, les membres des conseils finissaient
dans un camp pour VIP, que l’on donne à visiter à la Croix Rouge.
Pour Hannah Arendt, ce procès fut une occasion manquée. Le
crime nazi, contre l’humanité, était sans précédent. Il fallait qu’un jury
international trouve un moyen pour qu’il ne puisse pas se reproduire. Des intérêts
inférieurs en ont décidé autrement.
(ARENDT, Hannah,
Eichmann à Jérusalem, Folio, 2002.)
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