lundi 25 octobre 2021

La dialectique du dirigeant

Je mène une étude sur ce qu'est un dirigeant de PME. On en est à 120 entretiens. Elle est pleine de surprise. A chaque fois que je pense avoir trouvé quelque-chose, je découvre juste après son contraire. 

Le changement, par exemple. Le dirigeant de PME n'aime pas le changement. Pas du tout. L'épidémie le montre : il ne rêve que d'une chose : que tout revienne comme avant. D'ailleurs, alors que l'épidémie fait des ravages en Angleterre, il est tout heureux de se rassembler en troupeau, dans quelques grands événements, par ailleurs sans aucun intérêt pour ses affaires. Et pourtant... Bien des dirigeants ont dû faire face à des "disruptions" qui ridiculisent le numérique. Beaucoup se sont retrouvés avec une entreprise sans chiffre d'affaires, du jour au lendemain. Client qui part, changement technologique qui les rend inutiles, attaque des pays à "bas coût"... Et alors ? Pas de licenciement, ce n'est pas dans leur culture. Ils ont réfléchi, ils ont cherché, et ont trouvé une idée souvent étonnante, ils l'ont mise en oeuvre, ce qui leur demandait presque toujours d'apprendre un nouveau métier, et ils ont convaincu de nouveaux clients de les suivre. Et tout cela sans moyens, et en très peu de temps, puisqu'ils n'avaient pas d'argent. 

Autre exemple ? La loi PACTE compare les PME françaises et allemandes et constate un retard considérable des premières sur les secondes. Là aussi, c'est à la fois vrai et faux. Je vois, effectivement, que le patron français ne connaît rien aux sciences du management. C'est dramatique ! Il ne gère même pas sa trésorerie ! Il ne comprend rien à la communication, il ne sait pas parler à un investisseur... Il ne voit pas ce qui fait la valeur de son entreprise. Bref, il tire le diable par la queue, il va de crise en crise, il vit sur les nerfs, alors que l'Allemand est prospère. Mais, contrairement à ce que sous-entend le gouvernement, ce n'est ni sa faute, ni celle de la "réglementation". Contrairement à son équivalent allemand, il a été lâché par ses donneurs d'ordre nationaux (ce que l'on appelle "les champions nationaux"), qui ont mené une politique de délocalisation en le laissant en rade. Jusque-là il était une sorte de "service déconcentré" d'une grande entreprise. Il n'avait donc besoin que de faire ce qu'on lui demandait. Ce qui était d'ailleurs économiquement intelligent : il n'avait pas besoin de faire de la stratégie ou du marketing, ce qui coûte très cher.

Et là encore, ce n'est pas simple. Car, il n'est pas totalement certain que les grands groupes aient voulu nuire à leurs sous-traitants français. Nos grandes entreprises diffèrent des autres en ce que leurs dirigeants sont "parachutés" à leur tête. Ce sont des gens de concept et pas d'action. Ils ont, finalement, assez peu de pouvoir sur leur base, qui doit se débrouiller comme elle peut. L'idéal aurait été de faire comme les Allemands ou les Japonais : une délocalisation de l'ensemble des partenaires. Mais, c'était à la grande entreprise de préparer le terrain pour des sous-traitants qui n'ont pas les moyens de reconstituer leurs propres réseaux de sous-traitance, en Chine ou ailleurs. La grande entreprise française n'est pas capable, apparemment, d'un changement aussi subtil. Ce qui lui a probablement coûté très, très, cher, car elle a dû recréer localement des savoir-faire. (Que nous avons perdus en France.)

Enseignement ? Méfions nous des déductions à l'emporte pièce que nous enseigne l'Education nationale... 

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