- Il m’adresse la parole. Me demande ma nationalité. Il vient du Sri Lanka, de Jaffna (au nord de l’ile), il a 38 ans, il est électricien. Je change sa vie ( !?). On se sert la main. Il est assis à côté de moi. Nos Anglais n’ayant que peu d’intersection, je crois avoir compris la chose suivante :
- Il est très meurtri de l’accueil qu’il a reçu en France. Il a passé 3 jours en détention, et a deux jours pour rejoindre Calais et la communauté tamoule anglaise. Il n’a pas assez d’argent pour obtenir un visa et cherche de l’aide. Mais est traité comme un pestiféré par les gens qu'il rencontre.
- Le Sri Lanka est ravagé par la guerre civile, y rester en vie tient de la roulette russe. Aucun espoir de paix à court ou moyen terme : petite contrée oubliée de tous. Il a décidé de refaire sa vie en Europe.
- Notre police applique avec efficacité les procédures d’expulsion des immigrants illégaux.
- Le Français ne paraît pas hospitalier. Ce n’est pas la première fois que je rencontre un étranger en situation difficile (il y a un an, c’était un Néozélandais), qui se montre surpris du peu de sympathie qu’il suscite. Trouve-t-on plus d'aide à l’étranger ? Nous possédons de nombreuses associations de défense des opprimés. Donc, statistiquement, la population doit être composée d’une proportion notable de personnes au grand cœur. Pourquoi n’y en a-t-il pas plus dans la rue ? Dans le Quartier latin ?
La conduite du changement là dedans ?
- Pourquoi me demande-t-on de l’aide ? le mendiant qui a eu une mauvaise journée m’aborde parfois en me disant « vous qui avez l’air gentil ». Je dois paraître idiot. C’est ce qui inspire confiance. Le « donneur d’aide » est un rôle pivot du changement. En être un n’a rien de flatteur.
- Avant d’échanger quoi que ce soit, il faut qu’une relation de confiance s’établisse entre deux personnes. Cela se fait par étapes : chacun soumet l’autre à des tests, et s’ils sont passés, les barrières qui le protègent s’abaissent. Finalement, il se confie. Je soupçonne que les défenses du Français sont difficiles à traverser et que les miennes (du moins leurs premiers niveaux) sont inexistantes.
- Ma logique d’aide pourrait suivre l’algorithme suivant. a) La personne doit me paraître familière. Dans ce cas, j’ai cru reconnaître un petit entrepreneur indien à la tête solidement vissée sur les épaules, qui a décidé de prendre son sort en main, et dont l’honneur ne s’accommode pas du statut que la France octroie à l’étranger en difficulté. 2) Mon aide doit être décisive. Pas étonnant que mes livres parlent « d’effet de levier ». A l’opposé, la question du SDF ne peut être résolue que par une transformation de la société : dans ce domaine, une aide ponctuelle ne résout rien, la théorie est plus utile. Il faut comprendre comment réussir cette transformation.
Références :
- Sur les mécanismes d’aide et de changement, sur la construction d’une relation de confiance : SCHEIN, Edgar H., Process Consultation Revisited: Building the Helping Relationship, Prentice Hall, 1999.
- Sur le Sri Lanka, il y a beaucoup de choses sur Wikipedia. Ceylan semble en proie aux maux des anciennes colonies anglaises. Le pays doit entrer en quelques années dans un modèle de nation occidentale qu’il nous a fallu des siècles pour mettre au point. Surtout, il doit le faire à partir de communautés qui ont peu d’atomes crochus (les Tamouls et les Cingalais). L’ancien colonisateur aurait compliqué la situation par son habile, et usuelle, stratégie d’encouragement des rivalités ethniques, « Diviser pour régner » (notamment en donnant à la petite minorité tamoule l’administration du pays, et en amenant du sud est de l’Inde une autre communauté tamoule).
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