L’origine de l’idée.
Bill Gates est à la tête d’un fond caritatif colossal. Pourtant ça ne suffit pas pour guérir les misères de la terre. Le problème : le monde invente beaucoup de belles choses mais elles vont où il y a de l’argent. Or ce n’est pas forcément là que l’on en a le plus besoin (cf. les vaccins). Solution : les multinationales mondiales doivent concevoir une offre adaptée aux conditions économiques des pays pauvres. Comment les convaincre de s'intéresser aux besoins des pauvres ? Les gens veulent un sens à leur vie, les consommateurs aiment les causes nobles : les entreprises qui le suivront attireront les meilleurs employés, et feront de meilleures affaires que les autres, qui devront les imiter. Pour discuter du sujet, il a créé un blog où quelques économistes et le public débattent de l'idée. De cette discussion va être tiré un livre.
0 - Un problème mal posé ?
Bill Gates s’inscrit dans la culture philanthropique anglo-saxonne. Une culture qui veut que celui qui a réussi ait une responsabilité sociale. Distribuer la quasi intégralité de sa fortune est fréquent (ce fut le cas de Carnegie au début du siècle dernier). L’intuition de Bill Gates selon laquelle le capitalisme n’est pas que maximisation à court terme paraît juste : l’homme est un mouton de Panurge (ou « animal social »). Mais attaque-t-il le problème correctement ? Il ne le pose pas, il part d’une solution « le capitalisme créatif ». Il demande son avis à une petite communauté de personnes, qui se connaissent toutes, ont fait les mêmes études, appartiennent à la même culture. À l’époque où j’organisais des focus groups créatifs, mes panels étaient infiniment plus diversifiés que le sien. Et les problèmes que j’avais à résoudre étaient, comparativement, modestes. Ma contribution :
I - Suggestions pour le panel d’un prochain livre
Première idée : un peu de diversité.
- Des disciplines scientifiques autres que l’économie. Par exemple des ethnologues, des sociologues, ou des historiens (au moins pour s’assurer que ce que l’on tente n’a pas échoué dans le passé).
- Des cultures qui ne partagent pas le point de vue occidental (le Marxisme, par exemple, a énormément en commun avec les théories économiques les plus classiques).
- Les ressortissants des communautés auxquelles s’intéresse Bill Gates, afin de connaître leur point de vue sur leurs besoins, et sur ce qu’ils aimeraient en termes d’aide.
Mais, sans attendre l ces gens, les notes précédentes de ce blog ont des choses à dire à Bill Gates :
II – Un problème bien posé est à moitié résolu
- Faut-il qualifier les populations décrites par les ethnologues (ou les explorateurs) de « pauvres »? Elles semblent souvent plus heureuses que nous, avoir moins de problèmes, de « complexes » au sens psychanalytique du terme. La pauvreté des nations serait-elle une déchéance récente ? Cette déchéance serait-elle la disparition du lien social ? Sont-elles devenues individualistes, comme nous, mais sans avoir eu le temps de développer le cocon qui nous protège ?
- La « Tragedy of the commons » (Governing the commons) explique peut-être cette dissolution. Nous avons imposé nos usages à des communautés qui en suivaient d’autres. Résultat : elles ont perdu les leurs sans comprendre les nôtres. Plus de règles, plus de communauté, sur-exploitation des ressources qui les faisaient vivre, misère. Donc, attention Bill Gates : les communautés pauvres doivent reconstituer leur « auto-organisation », toute intervention externe est potentiellement un danger (pas obligatoirement).
- Herbert Simon observe que l’apprentissage de l’homme est souvent une répétition accélérée du chemin parcouru par l’histoire. Que peuvent tirer les pays pauvres de notre histoire ? Notre entrée dans le capitalisme s’est faite par étapes. Nous avons construit des infrastructures (notamment de transport), formé nos populations, construit des industries, à l’abri de barrières protectionnistes (ce qu’Adam Smith appelait « mercantilisme » voir aussi OMC et Responsabilité de la Presse). Puis, une fois sûrs que notre avantage était sans égal, nous avons commercé sans barrières. Les pays pauvres doivent probablement refaire ce chemin, au sprint.
- Problème signalé par Norbert Elias : une organisation à l’occidental demande que les populations se reconnaissent dans une « nation », alors qu’elles sont fidèles à des « clans ».
Remarque : ces observations tendent à montrer que la Grameen Bank de Muhammad Yunus est bien pensée. Elle aide une communauté « pauvre » à assimiler les concepts du capitalisme à son rythme, et selon ses moyens, à construire ses règles de gestion à sa guise, à apprendre à s'auto-administrer (Governing the commons).
Pour terminer. Les belles idées ne sont rien si l'on ne sait pas les mettre en oeuvre (thème majeur de ce blog) :
III - Le succès est dans l'exécution
Ce que me dit mon expérience :
- On n’impose pas à une population le changement, on part de son besoin perçu. On n’intervient que si elle en exprime le besoin, et on l’aide jusqu’à ce qu’elle s’estime satisfaite (Process consultation d’Edgar Schein).
- A moins d'y être contraint, on n’attaque pas un changement de manière frontale. Mais par un « projet périphérique ». C’est ce que j’appelle la « technique du vaccin ». On part d’un petit problème à la fois préoccupant et représentatif du problème global (par exemple une petite communauté et une question bien délimitée - épidémie de malaria, manque d'eau, etc.). Une fois résolu, on sait attaquer le cas général (Nettoyer le Gange).
Je crois que pour Bill Gates le principal intérêt de procéder par vaccin serait de l’amener à comprendre la nature réelle du sujet à traiter. Il pourrait alors mettre en œuvre ses formidables talents pour convaincre le reste de la planète de faire ce qu’elle doit.
Quelques références :
- SIMON, Herbert A., The Sciences of the Artificial, MIT Press, 1996.
- SCHEIN, Edgar H., Process Consultation Revisited: Building the Helping Relationship, Prentice Hall, 1999.
- Les étapes de développement du capitalisme, et l'importance du protectionnisme : LIST, Friedrich, Système national d'économie politique, Gallimard, 1998.
- Les complexes des sauvages : MALINOWSKI, Bronislaw, Sex and Repression in Savage Society, Routledge, 2001
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire