- En jouant sur les valeurs qui comptent le plus pour l'employé, on lui fait déplacer des montagnes.
- La culture est un système de contrôle à coût nul : l'homme est guidé par sa conscience et la pression de ses pairs, plus besoin de dispendieuse supervision.
Jusque-là, je suis enchanté. Je suis arrivé à ces mêmes conclusions. Mon expérience me montre que le changement consiste à faire évoluer les règles qui gouvernent le groupe (Définition universitaire de changement). L'homme suivant ces règles sans se poser de questions, le changement n'exige de lui pas de grande transformation. D'où un changement "à effet de levier", qui ne demande aucun moyen.
Mais les exemples utilisés par Jennifer Chatman me mettent mal à l'aise. On y voit des dirigeants offrir à leurs employés des cours de conduite automobile ou de cuisine, de manière à développer chez eux les compétences qui leur manquent... Le dirigeant serait-il un tuteur pour assistés irresponsables ? Un autre dirigeant utilise des camps d'entraînement pour inculquer à ses employés ce qui doit dorénavant guider leur vie. A défaut d'étoile jaune, on porte au revers de sa veste les pertes qu'a faites son unité. Et les moins performants occupent les places du mauvais élève : les plus proches de la tribune des dirigeants. Cela évoque ce que dit Hannah Arendt sur le totalitarisme, et les méthodes de "rectification" de Mao.Même cause, même effet. On pense qu'un homme détient la vérité et qu'il doit guider ses semblables. Ils ne savent pas. Ils doivent abdiquer leur libre arbitre, s'en remettre à la volonté du "leader". Persistante tendance de la culture anglo-saxonne :
- Taylor, ancêtre des sciences du management, veut guider les employés par des procédures (c'est aujourd'hui le rôle des progiciels de gestion). March et Simon observent d'ailleurs que les sciences de l'organisation tendent à prendre l'homme pour une machine.
- Le Béhaviorisme de Skinner pensait programmer le comportement humain par un dosage approprié de récompenses et de punitions.
- Les travaux modernes sur l'influence utilisent les règles culturelles pour donner à leurs praticiens les moyens d'obtenir ce qu'ils désirent de leur prochain.
- Au lendemain de la guerre de Corée, le psychologue Edgar Schein étudie le traitement qu’a fait subir l’armée chinoise aux captifs américains. De retour aux USA, il découvre que les entreprises locales utilisent les techniques de l'Armée rouge. Les nouveaux embauchés ont droit à un « lavage de cerveau »...
Paradoxe : tout ceci au pays de l'Habeas corpus ! Et si la nécessité d'une défense absolue de la liberté individuelle était née d'une tentation, plus forte qu'ailleurs, d'opprimer l'individu ?
Références :
- CIALDINI, Robert B., Influence: Science and Practice, Allyn and Bacon, 4ème édition, 2000. Il cite d'ailleurs les travaux d'Edgar Schein sur les techniques chinoises.
- L’observation d’Edgar Schein sur l’entreprise américaine : SCHEIN, Edgar H., The Anxiety of Learning, Harvard Business Review, Mars 2002.
- Sur Taylor : Origines des techniques de conduite du changement.
- March et Simon et le "modèle de l'organisation machine" : MARCH, James G., SIMON, Herbert A., Organizations, Blackwell Publishers, 2ème edition, 1993.
- SKINNER, B.F., La révolution scientifique de l'enseignement, Pierre Mardaga, éditeur, 1969.
- SHORT, Philip, Mao: A Life, Owl Books, 2003.
- ARENDT, Hannah, Le système totalitaire : Les origines du totalitarisme, Seuil, 2005.
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