jeudi 20 août 2015

La fin du village

Enquête sur l'évolution d'un village de Provence. Travail d'anthropologue.

On ne sait pas trop pourquoi, mais tout s'est "déglingué". Au départ, il y avait une petite communauté villageoise pauvre, mais dont la vie avait un sens. Aujourd'hui elle se retrouve dans la situation d'une tribu primitive après l'arrivée de l'homme blanc. 

Première transformation. La ville s'installe à la campagne. Des cadres des grandes villes proches y achètent une maison puis une forme de jet set "globale" y établit un pied-à-terre. Inflation de l'immobilier. Le loisir remplace le travail. Seconde transformation. Révolution culturelle ? Deux composants : la "culture" et l'écologie. Les associations culturelles, subventionnées par la mairie, se multiplient. Elles tentent de prendre en main la communauté, de lui apprendre comment penser. On voit apparaître un moment un conseil municipal des enfants... Étrangement, ce projet, qui semble de gauche, parle comme l'entreprise : aussi bien pour les vieux de l'EHPAD, que pour les enfants, il est question de "qualité" et on applique les sciences du management ! (Gestion de production ?)

Quand cette utopie rencontre la réalité, plus rien ne fonctionne. Et surtout, plus rien n'a de sens. Il y a à un extrême de la société des nouveaux riches, qui étalent leur raffinement de parvenus, et considèrent le Provençal comme un primitif que l'on fréquente pour montrer sa largeur de vue. L'autre extrême est fait de déclassés, au chômage, qui n'ont plus goût à rien, et qui vivent d'une forme de mendicité publique. Les enfants sont déboussolés par le divorce. Leurs parents ne leur donnent plus de repères. Ils se déchargent sur l'école, dont la mission est quasi impossible. D'autant que la réussite scolaire est devenue une obsession. Ce qui conduit, paradoxalement, à priver l'enfant de liberté, et d'épanouissement. Par ailleurs, dans ce monde d'irresponsables, tout est source de conflit et d'appel à la gendarmerie. Le curé est considéré comme un GO de Club Med. On fait garder ses vieux et ses enfants par les organisations publiques. Et l'hypocrisie est partout, d'abord chez les bien pensants. Et cela fait le lit du FN. Car, les valeurs traditionnelles de la communauté (la chasse, par exemple) sont étiquetées "mal". Que peut faire l'exclu dans ces conditions ? Sans compter que l'école monte ses enfants contre lui. 

Bien sûr, il y a toujours de bonnes volontés dont l'initiative permet de compenser les pires égarements. Mais, comment remettre notre société en marche ? Il est facile de démolir, mais bien plus compliqué d'en imaginer une nouvelle. 

(LE GOFF, Jean-Pierre, La fin du village, Gallimard, 2013.)

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