Ma mère avait fait faire de moi deux photos. J'avais deux ans. Sur l'une je ressemblais à un chien battu. Sur l'autre au ravi de la crèche. Christophe qui rit, et Christophe qui pleure. A un âge où j'aurais pu être grand père, j'ai remarqué que le chien battu était devenu le fond d'écran de son téléphone. Je lui ai dit qu'il était curieux qu'un enfant aussi jeune semble aussi malheureux. Je croyais qu'elle ne m'avait pas entendu. Pourtant, la photo a été immédiatement remplacée par la riante. Et, alors qu'elle avait fait de nouveaux tirages d'un grand nombre de photos de sa jeunesse, en particulier de Jean qui rit, je n'ai trouvé aucune trace de Jean qui pleure, après sa mort.
C'est un exemple de disjonction cognitive. Il est insupportable de faire face à ses contradictions. Si on nous y expose, se produit une réaction violente. Elle vise non à les éliminer, mais à en supprimer la preuve. (Tartuffe de Molière en donne un exemple.) On utilise la disjonction cognitive comme technique de manipulation.
Mais mon histoire a connu un épisode que l'on ne trouve pas dans les traités de psychologie. Dans ses derniers temps, ma mère m'a rappelé des événements que j'avais oubliés. Mes enseignants de primaire s'étaient demandé si je n'étais pas suicidaire, ou si mon comportement ne s'expliquait pas par un manque d'affection. N'était-ce pas ridicule ? Ma mère avait mauvaise conscience. Comme quoi, on ne peut probablement jamais se séparer de ses contradictions par la force ou l'oubli. Il n'y a peut-être pas de cas désespérés. Le changement est toujours possible. Et, comme quoi, cela a du bon. Car ce souvenir m'a permis d'expliquer mon comportement, que l'on a longtemps trouvé paradoxal. Mais qui n'est pas suicidaire. Mais cela, c'est une autre histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire