Curieusement, les penseurs allemands ont opposé « culture » et « civilisation ». La première était caractérisée par sa dimension sociale, la seconde était la création des droits de l’homme, un réseau d’individus reliés par contrats. La « civilisation » était le mal.
J’aurais tendance à penser, avec les ethnologues, que la seule notion un peu claire est celle de « culture ». C'est-à-dire les règles (majoritairement implicites) qui guident les comportements collectifs d’un groupe. Nouvel écueil. Dès qu’il y a groupe, il y a culture. En particulier, on parle de « culture d’entreprise ». De quelle culture s'agit-il ? M.Guéant pense peut-être « culture nationale », ou extranationale. Sa civilisation serait-elle celle de l’Occident ? Mais l’Occident n’est pas homogène ! Le nord de l’Europe rejette le sud, paresseux, « anglo-saxon » est souvent un terme injurieux, les USA sont fondés sur le rejet de la « culture » européenne… Même la science n'est pas une valeur universelle : une grosse partie de l’Amérique est créationniste. À moins d’en revenir à la définition allemande de civilisation : notre point commun est l’individualisme ? Mais y a-t-il accord sur ce que signifie « individualisme » ?
Et puis comment démontrer qu’une culture vaut mieux qu’une autre ? Les civilisations grecques et romaines ont cédé à leurs vices de forme et aux invasions « barbares ». Les vagues des « sauvages » indo-européens ont balayé des cultures sédentaires. Qui était supérieur ? Les « sauvages », comme le pensaient les Allemands d’avant guerre, ou les sociétés qu’ils ont asservies, probablement plus proches des nôtres ?
Plus prometteur : certaines cultures ont exercé un attrait sur les autres. La modernité occidentale et l’avantage (parfois militaire) qu’elle apportait a fasciné. Mais est-ce toujours le cas ? Les révolutions arabes, par exemple, paraissent motivées par le désir de remplacer des élites occidentalisées par une société islamique.
Dernière tentative : quitte à être individualiste, dans quelle culture l’homme trouve-t-il le mieux son compte ? Bizarrement, ici, les scientifiques semblent proches de Jean-Jacques Rousseau : la société n’est pas bonne pour la santé. Si elle a protégé l’espèce, elle contraint ses membres à des « changements » extrêmement douloureux.
En fait, notre culture nous façonne, elle nous dicte le comportement nécessaire à la maintenir en vie. C’est probablement pour cela que la plupart des peuples se désignent, eux-mêmes, comme « les hommes ». Ainsi, pour les Chinois anciens, ne pas connaître les rites est être « barbare ». Alors, M.Guéant a-t-il retrouvé un réflexe vieux comme le monde, celui du « nous » contre « eux » ?
Et si l’on mettait le doigt là, paradoxalement, sur quelque chose qui nous est propre ? Et si l’innovation occidentale, celle des Lumières, celle qui explique à la fois la création des USA et la pensée de Kant ou de Hegel, était l’idée qu’il n’y a pas « d’eux » et de « nous » ? Que notre avenir est une fédération de cultures qui s’enrichissent mutuellement ?
En fait, M.Guéant a repris littéralement la théorie du « droit naturel » des néoconservateurs. Son principe est que ce à quoi tiennent les néoconservateurs sont des valeurs supérieures. C’est ce que comprend, dans un flash, tout bourgeois assistant devant sa télévision aux émeutes de 1968. Malheureusement, il n’est pas certain que cette « civilisation » d’angoissés attachés à leurs avantages acquis ait quoi que ce soit de supérieur, de séduisant ou même la moindre capacité à survivre à la marche du temps.
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