Ce qui me frappe en lisant les philosophes de Lumières et les pragmatistes est leur définition du progrès comme la conquête du monde par la raison, pour les uns, et par l'intelligence, pour les autres. Or, notre société est explicitement anti-Lumières. Cela signifie-t-il que nous vivons à une période d'anti-intelligence ? Si oui, qu'est-ce que le contraire de l'intelligence ?
Il y a quelques temps The Economist citait une étude faite sur les moyens de parvenir au sommet d'une entreprise. On y retrouvait les qualités habituellement assimilées à l'arrivisme. Combiné à la "création de valeur", c'est à dire l'élimination de personnels afin d'acquérir leur salaire, cela conduit à une société faite d'exploiteurs, pas de créateurs.
Un second phénomène revient régulièrement dans ce blog. C'est ce contre quoi les Lumières se sont insurgées. Notre société est "aliénée". On nous a inculqué des idées qui nous font aller, en les suivant, contre notre intérêt. Notre société a été victime d'une formidable manipulation. Elle nous a transformé en animaux. Nous ne pensons plus. D'ailleurs, la morale est revenue en force. L'Eglise a connu un nouvel avatar.
L'opposé de la raison semble donc l'animalité, la "bête de somme" d'Hannah Arendt. Une sorte de lutte se livre entre nos cerveaux. Actuellement, c'est le cerveau primaire qui a le dessus. La règle du jeu est l'affrontement. Comme au temps de cavernes. Mais, comme il se déroule dans une société, il utilise les outils de la société, et même la raison, qu'il manipule. Les oligarques de tous pays, ceux qui ont su habilement détourner les ressources de la société, en sont les triomphateurs.
En revenir à la raison
Voltaire fut un mauvais philosophe, mais un polémiste redoutable. Si la raison veut reprendre un peu d'ascendant sur les forces de l'obscurantisme, elle doit les prendre au sérieux. Et leur emprunter leurs outils, sans toutefois y perdre son âme. C'est probablement ce que fait Paul Krugman.
Peut-être aussi la raison doit elle veiller à ne pas se rendre insupportable, comme elle l'a peut-être été pendant les trente glorieuses. Cela lui évitera de créer des frustrations et l'envie de la renverser. Le Nazisme fut, d'ailleurs, une réaction contre Lumières. (Globalement ça a été le cas d'une grande partie de la pensée allemande de cette période, notamment de celle d'Heidegger.)
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