Notre crise n’est pas financière. Elle est celle de notre
représentation du monde, fondée sur la fiction du « self made man » :
l’individu ne doit rien à personne. Et les conséquences de ce déni de réalité
sont effroyables. La dette financière est la moindre d’entre elles. Car l’individu
a besoin de la société pour être. Il n’y a pas de libéralisme sans société. Il
n’y a pas de liberté sans dette.
Ce livre est une exploration de la signification de « dette »
par différentes cultures, proches de la nôtre. Dommage que l’on n’y parle pas
de science (en dehors de la psychologie de Freud). Car elle explique que, dans
le monde, tout est interdépendant. A vrai dire, je ne l’ai pas bien compris. Son
intérêt est peut être plus dans les métaphores, travaux et idées qu’il cite que
dans l’interprétation qu’il en donne. Parmi ce que j’en retire, et qui n’y est
peut-être pas :
- Pourquoi la religion catholique prohibe-t-elle l’intérêt ? (Le marchand de Venise.) Parce que le prêt est un don. Et don de son être, plus que d’un bien matériel ou de son corps. Mais il crée la potentialité d’un contre-don. C’est malin : non seulement on retrouve ce que l’on a donné, mais on s’est fait un ami, quelqu’un sur qui compter. « Intérêt » du prêt ? Mécanisme d’assurance ? Bien entendu cela signifie qu’il y ait sens du devoir. Prêter est un acte d’amour, de foi en l’autre. (Serait-ce pour cela que notre Etat providence est en faillite : ceux qu’il aide ne lui en sont pas reconnaissant ?)
- Une question que je me suis posée : l’individu demande des décennies d’apprentissage social. Autrement dit, il ne peut pas être « libre » par son seul effort. Alors, l’insistance de certains libéraux à ne rien donner aux pauvres fait-elle de ces derniers des sous-hommes ? Les prive-t-elle d’une part de leur humanité ? (Les esclaves seraient-ils la contrepartie de la démocratie ?)
- Ce livre m’a aussi montré Dom Juan de Molière sous un jour nouveau. Ce n’est pas l’histoire d’un séducteur. C’est celle d’un homme qui refuse de payer ses dettes à la société. C’est le précurseur des banquiers, et des oligarques modernes. Mais, notre nature même est l’emprunt : nous devrons rendre notre âme ! Surtout l’homme et la société sont en perpétuel devenir. Ce qui requiert l’entraide. Donc nouvelles dettes. Il se trouve aussi que nous créons des dettes que l'on ne nous paiera pas. Car nous faisons l'avenir de nos enfants. Par conséquent, nier toute dette, c'est vivre dans l'instant. C’est la jouissance à la DSK comme seul moteur, « la fin de l’histoire » des libéraux, et l’ardoise qu’ils nous laissent.
- Le plus curieux peut être est que certaines dettes sont infinies. La culpabilité qui en résulte est écrasante. Or, comble de l’irrationalité, il peut y avoir « grâce », abrogation. Mais est-ce un don gratuit ? Car elle suscite, chez l’âme bien née, un élan de reconnaissance éternel. Contre don ? (Serait-cela la charité chrétienne ?)
En résumé, tout ceci semble dire que nous sommes une société
de pauvres types, de comptables méprisables, au cœur sec. Nous avons fait du
don et de la dette une question de calcul, alors que c’est une affaire d’amour
et de désir irrationnel. Mais d’une irrationalité qui se révèle, a posteriori, infiniment plus
rationnelle que le calcul. Ce faisant, nous avons construit un monde à notre
image, désertique. Et sans lendemain.
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