Un souvenir personnel, auparavant. A l’époque où j’ai rencontré Henri Bouquin, j’avais rédigé une quarantaine de pages sur mon expérience du changement. Et ce qu’en disaient les auteurs de la littérature anglo-saxonne du management. Je travaillais alors avec un haut fonctionnaire devenu homme d’entreprise, esprit brillant. Il me dit qu’il connaissait quelqu’un que mon papier intéresserait sûrement. Une curieuse personne, comme en génère parfois notre université, qui comprenait mieux l’entreprise que ceux qui y travaillent, mais sans y avoir jamais mis les pieds. C’était Henri Bouquin.
Je l’ai donc rencontré. Il m’a écouté. Et
m’a posé une seule question. Est-ce que, par hasard, mon travail ne se
rattacherait pas à tel universitaire américain ? Non
seulement je n’avais rencontré personne jusque là qui connaisse quoi que ce
soit aux travaux que je citais, mais il avait effectivement trouvé l’auteur
dont les conclusions rejoignaient les miennes.
Tout Henri Bouquin était là. Je l’ai retrouvé au travers
des témoignages qui se sont succédé. Un homme discret et pudique, à l’œil malicieux,
un esprit élégant et vif, avec l’art du mot juste. Il avait tout lu, et il savait écouter. Une sorte d’intelligence à l’état pur.
Henri Bouquin a, d’une certaine façon, inventé le contrôle
de gestion moderne. Il l’a conduit des obscurités de la comptabilité aux
sommets du management. Et au-delà. Car il en a fait une discipline intellectuelle,
au sens noble du terme. Avec lui le dirigeant devient le philosophe de la cité
de Platon. Pour cela, il a synthétisé, avec un talent littéraire
rare, les travaux qui portaient de près ou de loin sur son sujet. De la
finance à la cybernétique, en passant par les sciences humaines.
Ses anciens étudiants ont rappelé l’expérience déconcertante
qu’était l’écriture d’une thèse sous sa direction. Car, justement, il n’y avait
pas de direction. Il les laissait totalement, et étonnamment, libres. Ce qu’il
recherchait, c’était le trait de génie, l’intuition unique, l’idée qu’il n’avait
pas. Totale liberté ? Ne créait-il pas les conditions qui permettaient à leur talent de s'exprimer ? Et si sa définition de contrôle de gestion était ici ? Le contrôle
de gestion comme humanisme ?
Comment se fait-il, dans ces conditions, que l’on ne parle
pas plus de lui ? Parce qu’il n’écrivait pas en américain. A défaut d’avoir
publié dans le monde anglo-saxon, et donc d’être reconnu en France, Henri
Bouquin a fait l’admiration de l’université allemande et japonaise. Mais, dans
un monde de boutiquiers, cela n’a pas d’importance.
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