jeudi 10 janvier 2013

Henri Bouquin

Mardi soir, Dauphine commémorait Henri Bouquin. L’événement était organisé par Catherine Kuszla. Voici ce que j’en retiens.
Un souvenir personnel, auparavant. A l’époque où j’ai rencontré Henri Bouquin, j’avais rédigé une quarantaine de pages sur mon expérience du changement. Et ce qu’en disaient les auteurs de la littérature anglo-saxonne du management. Je travaillais alors avec un haut fonctionnaire devenu homme d’entreprise, esprit brillant. Il me dit qu’il connaissait quelqu’un que mon papier intéresserait sûrement. Une curieuse personne, comme en génère parfois notre université, qui comprenait mieux l’entreprise que ceux qui y travaillent, mais sans y avoir jamais mis les pieds. C’était Henri Bouquin.

Je l’ai donc rencontré. Il m’a écouté. Et m’a posé une seule question. Est-ce que, par hasard, mon travail ne se rattacherait pas à tel universitaire américain ? Non seulement je n’avais rencontré personne jusque là qui connaisse quoi que ce soit aux travaux que je citais, mais il avait effectivement trouvé l’auteur dont les conclusions rejoignaient les miennes.

Tout Henri Bouquin était là. Je l’ai retrouvé au travers des témoignages qui se sont succédé. Un homme discret et pudique, à l’œil malicieux, un esprit élégant et vif, avec l’art du mot juste. Il avait tout lu, et il savait écouter. Une sorte d’intelligence à l’état pur.

Henri Bouquin a, d’une certaine façon, inventé le contrôle de gestion moderne. Il l’a conduit des obscurités de la comptabilité aux sommets du management. Et au-delà. Car il en a fait une discipline intellectuelle, au sens noble du terme. Avec lui le dirigeant devient le philosophe de la cité de Platon. Pour cela, il a synthétisé, avec un talent littéraire rare, les travaux qui portaient de près ou de loin sur son sujet. De la finance à la cybernétique, en passant par les sciences humaines.

Ses anciens étudiants ont rappelé l’expérience déconcertante qu’était l’écriture d’une thèse sous sa direction. Car, justement, il n’y avait pas de direction. Il les laissait totalement, et étonnamment, libres. Ce qu’il recherchait, c’était le trait de génie, l’intuition unique, l’idée qu’il n’avait pas. Totale liberté ? Ne créait-il pas les conditions qui permettaient à leur talent de s'exprimer ? Et si sa définition de contrôle de gestion était ici ? Le contrôle de gestion comme humanisme ?

Comment se fait-il, dans ces conditions, que l’on ne parle pas plus de lui ? Parce qu’il n’écrivait pas en américain. A défaut d’avoir publié dans le monde anglo-saxon, et donc d’être reconnu en France, Henri Bouquin a fait l’admiration de l’université allemande et japonaise. Mais, dans un monde de boutiquiers, cela n’a pas d’importance.

Aucun commentaire: