dimanche 14 décembre 2008

McKinsey réforme l’entreprise

L’idée de Richard Foster : puisque le marché va plus vite que l’entreprise, installons le marché dans l’entreprise.

L’article de McKinsey dont je parle dans le billet précédent a attiré mon attention, parce que je cite l’ouvrage dont il est question dans un de mes livres :
Deux chercheurs du cabinet McKinsey, le plus prestigieux cabinet de stratégie mondial, expliquent : « les marchés n’ayant pas de culture, de leadership et d’émotion ne subissent pas les explosions de désespoir, de dépression, de refus et d’espoir auxquelles les entreprises doivent faire face (…) les entreprises ont été conçues pour (produire) plutôt que pour évoluer (…) nous pensons que l’entreprise doit être reconçue de haut en bas sur l’hypothèse de la discontinuité (…) l’idée est de donner les commandes au marché partout où c’est possible (…) notre prescription est d’élever le taux de destruction créatrice (de l’entreprise) au niveau de celui du marché sans perdre le contrôle des opérations. »
L’idée était élégante : vous ne savez pas gérer votre entreprise ? Donnez-en les commandes au marché ! C’est ce qu’ont fait les constructeurs automobiles américains et français avec leurs sous-traitants.

Mais elle était paradoxale. La destruction créatrice de Schumpeter n’a pas les effets que lui prête Foster. Selon Schumpeter, elle conduit au communisme, par une voie que n’avait pas vu Marx. Les crises inhérentes au capitalisme forcent les entreprises à devenir de plus en plus grosses pour y résister. Elles tendent donc au monopole, à la bureaucratie. D’ailleurs on peut innover bureaucratiquement, et c’est pour cela que le monopole soumis à la destruction créatrice est efficace, aussi efficace que le modèle de concurrence parfaite qui est l’hypothèse fondamentale de l’économie anglo-saxonne. Mais qui dit monopole dit concentration des outils de production en une seule main. C’est le communisme !

En 2001, quand sort le livre de Richard Foster, la société qui fait l’admiration des consultants et des universitaires est Enron. D’ailleurs Jeffrey Skilling, son patron, est un ancien de McKinsey. (Depuis il a écopé d’un quart de siècle de prison.) La faillite d’Enron a forcé tout ce monde à opérer un repli stratégique. La carrière de quelques-uns, comme Gary Hamel, immense gourou, en a même été victime. En fait, les Américains considèrent ces intellectuels un peu comme nous les collaborateurs, après guerre. Que signifie donc que certains relèvent la tête ?

Compléments :
  • FOSTER, Richard N., KAPLAN, Sarah, Creative destruction, McKinsey Quaterly, 2001, n°3.
  • EICHENWALD, Kurt, Conspiracy of Fools: A True Story, Broadway Books, 2005.
  • Fabricant automobile : mauvaise passe.
  • Quant à Schumpeter, je ne suis pas sûr que ses idées aient été totalement dénuées d’idéologie : on y voit la marque du modèle bureaucratique prussien, qui a tant influencé la pensée d’Europe centrale (Hegel pour les nuls, Angela Merkel au secours de l’orthodoxie libérale). SCHUMPETER, Joseph A., Capitalism, Socialism, and Democracy, Harper Perennial, 3ème edition, 1962.

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