mercredi 31 décembre 2008

Les découvertes de l’année

Cette année a été l’année Blog. Que m’a-t-il apporté ?

Ce blog m’a fait voir quelques choses que je n’aurais pas vues sans lui. C’est aussi une illustration de mon mode de pensée, qui avance par remise en cause permanente.

  • Les élections américaines. C’est la première fois que je suis une élection. Cette expérience me fait croire qu’il est possible d’aller loin dans la compréhension des « logiques » des candidats (des règles qui expliquent leur comportement), et des stratégies qu’ils suivent (De la démocratie en Amérique (suite) Une pensée pour Barak ObamaNo drama Obama, etc.). Jusque là, j’avais tendance à croire que les processus de sélection ne révélaient que les capacités des candidats à triompher de la sélection (sans rien dire sur leur capacité à diriger). Peut-être ai-je fait ce qui doit être le travail de tout citoyen d’une démocratie ? Le processus démocratique est il le vote, ou le travail de réflexion, de transformation de l’électeur, qui doit amener au vote ?
  • J’ai aussi découvert l’Union Européenne (L’Europe est-elle une communauté ?). Contrairement à ce que je pensais ce n’est pas une sorte de Far West du marché libre, une noble utopie dynamitée par la perfide Albion, mais plutôt une formidable machine à uniformiser, qui porte un projet fort honorable. Il reste au peuple de l’Union à s’approprier ce projet, comme semblent l’avoir fait récemment ses gouvernants (L’Europe change). Le citoyen européen doit naître.
  • Les droits de l’homme. Si je ne m’étais pas intéressé aux démêlées de Rama Yade et Bernard Kouchner (Bernard Kouchner et les droits de l’homme), ce que je n’aurais pas fait sans blog, je ne me serais pas penché sur les droits de l’homme, sujet pour lequel je me sentais incompétent. Quelques intuitions : l’homme est essentiellement le produit de la société, détruire le lien social est attentatoire à ses droits ; l’homme se construit une « identité », elle peut évoluer, mais selon un chemin très particulier ; ne pas le respecter, imposer des changements qui demandent l’impossible à l’être humain est aussi attentatoire à ses droits (SDF et droits de l’homme, Droit au travail, Maslow et les droits de l’homme).
  • Suivi des étapes de la crise et essai de compréhension. Relecture de Galbraith (Crash de 29 : mécanisme), et confirmation de Foster (McKinsey explique la crise). Une catégorie d’Américains est en permanence sur le qui-vive. Elle cherche à tromper les règles du contrôle social. Quant elle y arrive, l’économie décolle du réel. Quelques années de fantastique prospérité artificielle, puis crash. Il me semble de plus en plus certain que l’on a vécu un grand moment d’idéologie galopante. J’avais analysé la Nouvelle économie dans mes livres, mais j’ai découvert que le phénomène avait été beaucoup plus puissant que ce que j’avais entraperçu. Que non seulement il avait couvert la Bulle Internet, mais qu’il s’était étendu au monde sous la forme du Consensus de Washington et des crises qu’il avait suscitées, mais aussi de la présidence Bush, qui est allée jusqu’à démanteler les contrôles existants au nom d’un marché supposé s’autoréguler (Dr Doom). Le Néoconservateur a été le grand prêtre de ce nouveau millénarisme (Neocon).
  • La Chine. J’avais une grande estime pour la Chine. Je pensais que sa sagesse était supérieure à la nôtre. Infiniment plus subtile que le subtil Japon (Voyage à Tokyo). La lecture du Discours de la Tortue (Le discours de la Tortue), et de quelques autres livres, me fait pencher plutôt pour une civilisation dont le cerveau n’aurait pas été alimenté pendant trop longtemps. Une « civilisation fossile », qui essaie de se réinventer en ne prenant au monde qui l’a dépassé que des idées superficielles et grossières ? Une société de rustres ?
  • Un des grands moments de l’année aura été Governing the commons, que je dois à The Economist. C’est une sorte de modèle économique de mes observations. Comment une société peut s’auto-administrer, et comment ce système est le plus efficace qui soit. Il y a autre chose que le laisser-faire anglo-saxon, ou le dirigisme français, soviétique ou prussien. The logic of collective action, autre tuyau de The Economist, complète le tableau en modélisant le fonctionnement de l’homme laissé à son intérêt égoïste. On y voit apparaître naturellement une société de classes (mais sans solidarité de classe), et l’organisation de l’entreprise occidentale. La minorité y exploite le grand nombre. Progressivement, les hypothèses qui sous-tendent la science économique, et l’organisation de la société moderne, apparaissent. Il s’agit, simplement, de la notion fondamentale de propriété, très bien expliquée par les Lumières anglaises (Droit naturel et histoire). L’actionnaire est propriétaire de l’entreprise, les hommes qui la constituent, à l’exception de son management supposé la diriger, n’ont aucun droit. Ce qui explique qu’on cherche à réduire au maximum leur salaire, par une « concurrence parfaite ». Et que les entreprises finissent par capoter : la compétence de l’entreprise (« capital social ») se stocke dans son tissu social. 
  • Découverte de John Stuart Mill (Utilitarisme, De la liberté). Lui, je le percevais comme un bonnet de nuit, à l’origine de l’idéologie biaisée, individualiste, cause de tous les maux de la société moderne. Faux. Discours robuste et énergique, qui avait perçu tout ce qui ne va pas dans ce que nous faisons. Il est fascinant de voir à quel point la pensée des plus grands hommes peut être écrabouillée, abaissée à la médiocrité, ramenée à la plus paresseuse idéologie, par nos mécanismes d’apprentissage. Norbert Elias et sa modélisation de l’individualisme a été une autre grande découverte. On a là probablement une des explications du changement que vit notre époque, meilleure que celle de Polanyi (The great transformation) : l’individualiste découvre qu’il n’est pas seul au monde, que ses actes comptent, il voit la dimension sociale de la vie. Ce n’est pas le blog qui m’a fait lire ces auteurs, mais il m’a amené à les résumer. Je les aurais moins bien compris (ce qui ne signifie pas que je les ai parfaitement compris !) si je ne m’étais pas livré à cet exercice.
  • La philosophie (Kant pour les nuls, Hegel pour les nuls, Heidegger pour les nuls). Le blog n’est pas une cause de cette découverte. J’y allais de moi-même : j’avais fini par comprendre que ce qui m’intéressait dans la pensée allemande, la prise en compte de la société par la science, avait sa première étape chez Kant et Hegel (À la découverte de la philosophie allemande). Là aussi ma vision a été transformée. Le philosophe est un scientifique, qui cherche à rationaliser son expérience, qui « met en équations » sa culture, ce que ses contemporains croient évident sans l’exprimer. Pas un discoureur de salon qui enchaîne les faits selon une pseudo-logique, qui s’émerveille des pensées qui lui passent par la tête, un sophiste, selon le modèle de l’intellectuel français (Portrait du philosophe français).
  • Je n’avais pas compris que le progrès, selon les Lumières, s’était la prise de pouvoir de la raison, sur le suivi moutonnier de règles que l’on ne comprend pas (Individualisme et rationalité). Problématique classique dans les sciences du management : celle du leader, qui pense, et du manager, qui exécute (Mesurer la capacité au changement d’une entreprise). Ce blog constate, non que nous sommes massivement des managers, mais que ceux qui se rapprochent le plus des « leaders » manipulent les règles que nous suivons, pour satisfaire leurs intérêts. C’est ce que Robert Cialdini étudie sous le nom de « science de l’influence ».
  • Enfin, la lecture d’un article de Dominique Huez (A lire absolument) m’a fait comprendre l’idée qui m’a poussé à passer plusieurs années de ma vie à écrire des livres, et à essayer de rendre les changements sociaux efficaces, et surtout moins douloureux qu’aujourd’hui. Cette idée est l’objet du prochain billet.

Bien sûr, j’ai approfondi les thèmes qui font l’essentiel de mes livres. Les techniques de changement, l’ordinateur social, l’effet de levier, l’animation du changement, les anxiétés, les travaux d’Edgar Schein, de Schumpeter, de Martin Seligman, de Robert Cialdini, de Tocqueville, de Crozier, la duplicité anglo-saxonne, l’innovation au sens de Merton, la société française et ses vices, la lamentable histoire de l’Éducation nationale… Mais, finalement, de manière assez molle. Sans grande conviction.

Ce blog est égoïste : il n’essaie pas tant de transmettre des techniques utiles que de me soumettre à un travail de décodage du monde qui m’enrichisse… C’est vrai, Nicolas Sarkozy et Barak Obama illustrent ce que disent mes livres (Les techniques de Barak Obama : Relance par l’investissementObama construit son équipeBarak Obama en role model ?, celles de Nicolas Sarkozy : Nicolas Sarkozy et la méthode navette, Sarkozy en leader du changement), ce qui facilite mes cours et mes démonstrations.

D’ailleurs, n’y a-t-il pas dans mon attitude, une autre évolution ? Je réponds à la description du « donneur d’aide » d’Edgar Schein, j’ai passé ma vie à vouloir aider les entreprises, et parfois les hommes (Tigre tamoul), que les hasards me faisaient rencontrer. Mais l’expérience (et ce blog) me montre que dans un monde d’individualistes, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Et puis le changement ne marche jamais aussi bien qu’en crise. Il n’est pas efficace de vouloir sauver des gens qui, au fond, ne le demandent pas !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelqu'un qui ne demande pas le changement peut, si il n'estime pas en avoir le besoin, le refuser.
Si tel n'est pas le cas, c'est peut être simplement parce qu'il n'admet pas ouvertement (par fierté, égoïsme ou individualisme) qu'il a besoin d'être aidé.

Et dans ce cas, le donneur d'aide, n'apporte-t-il pas un regard précieux qui fait malgré tout bouger les choses là où il intervient ?

La difficulté c'est à mon sens de savoir mesurer la reconnaissance qui est accordée au donneur d'aide et de mesurer et partager la progression qu'il apporte.
En effet, si le donneur d'aide a face à lui un profil individualiste qui ne sait pas bien montrer sa gratitude à l'égard de celui qui lui tend la main, il n'est pas malvenu de lui en faire prendre conscience ouvertement pour lui rendre service.

Quant à l'individualisme, c'est en temps de crise justement qu'on peut imaginer le dénoncer, et faire réaliser qu'un succès d'entreprise est le fruit d'un travail d'équipe bien mené. Pour faire front dans une période difficile il sera d'autant plus nécessaire de continuer à s'appuyer sur une démarche où l'on fédère autour de soi, plutôt que de se replier sur soi même...

Christophe Faurie a dit…

Merci pour ce commentaire qui m'amène à préciser ma pensée!!
2 points techniques :
1) La théorie d'Edgar Schein, à qui j'ai pris le terme "donneur d'aide", dit que a) le "donneur d'aide" n'est utile qu'à quelqu'un qui lui demande de l'aide, qui le trouve utile (définition circulaire!) b) il mesure son succès non à la reconnaissance qu'on lui montre, mais au fait que l'organisation qu'il aide juge que ses problèmes ont été résolus (le donneur d'aide n'est pas une solution, un médecin, mais un catalyseur, un outil).
2) D'après les expériences de Robert Axelrod, la stratégie appropriée pour combattre l'individualisme est le dent pour dent. i.e. dans un monde farouchement individualiste, il est dangereux d'être altruiste. En outre ça encourage l'individualisme : il profite de l'altruiste. Il peut être plus efficace de montrer l'inefficacité de l'individualisme par la crise.
C'est un cas dans lequel le changement passe par l'augmentation initiale de "l'anxiété de survie" de la population concernée.