mardi 2 septembre 2008

Voyage à Tokyo

Japonais éternellement souriants mais qui en ont gros sur la patate. Et le saké n’est que de peu de secours. Ils ont travaillé dur, perdu des enfants à la guerre. Toujours, ils ont fait bonne figure. Mais là, vraiment, ça devient difficile. Ils croyaient que leur âge avancé leur vaudrait un peu de respect et d’attention, ils découvrent qu’ils gênent leurs enfants, qui ne pensent qu’à eux-mêmes. Des petits, des médiocres. Et les petits enfants ? Infects. Chronique de la dislocation de la société japonaise ? Contamination par l’individualisme occidental ? Ozu avait-il vu juste ?

Quand le Japon s'est éveillé...

Je connais mal l’histoire japonaise. Ce que j'en ai retenu :

En 1854 le commodore Perry et ses canonnières ouvrent à l'influence pacificatrice du commerce les portes d’un Japon replié sur lui-même. Il s’ensuit une modernisation du pays. Spectaculaire. Point d'étape : 1905, guerre avec la Russie. Elle est ridiculisée. La modernisation continue, ainsi que l’expansion coloniale. Guerre de 40. Défaite, reconstruction et développement explosif.

Aujourd’hui, le pays est riche, il fait peu de bruit, il est l’ami des puissants sans faire de tort aux autres, le meilleur élève de la classe. Je crois que le Japon s’est constitué en forteresse.

Ce qui m'intéresse dans cette histoire est comment le Japon a évité la dislocation qui aurait dû résulter de l’application de règles extérieures (les lois du marché occidentales) à son équilibre intérieur (« Tragedy of the commons » de Governing the commons). Il a fait un double mouvement.

  • Attaque, refus de la domination étrangère.
  • Absorption de son savoir en le transformant à la japonaise. Exemple : techniques de production américaines, dont le pays a fait un « reengineering », la raison de son succès industriel (Lean manufacturing).

En 2002, quand j'en suis arrivé aux dernière pages de mon premier livre, une synthèse de mon expérience de terrain, j'ai abouti à une conclusion totalement inattendue. J'avais réinventé les techniques japonaises. (Plutôt, adapté à notre culture.)

Le Changement en France : apprendre le Judo ?

Citation de mon dernier livre (transformer les organisations) :

Le comportement de l’homme peut être de deux types : « rationnel » (typique du Puritanisme), il tend à transformer le monde ; « ritualiste » (typique du Confucianisme), il accepte le monde tel qu’il est et cherche à s’y conformer au mieux. Tout deux sont présents simultanément, mais sont plus ou moins dominants. D’ailleurs, il semble y avoir un parallèle entre eux et l’organisation de notre cerveau : l’aspect ritualiste correspond au fonctionnement du cerveau « animal » ; l’aspect rationnel à celui du cerveau « supérieur ». Ainsi le Ritualisme est une sorte de reflexe du groupe, un mécanisme très efficace dont on ne comprend les résultats qu’avec difficulté. Par exemple : dans certaines traditions, les participants aux sacrifices d’animaux mangent les bêtes sacrifiées : une fonction latente du rite peut-être de réguler la consommation d’animaux ; de même les invitations entre amis, les échanges de cadeaux… renforcent la solidarité du groupe concerné. À l’opposé, la rationalité permet une décision rapide dès que le groupe « comprend » la situation à laquelle il est confronté. Ces deux comportements sont complémentaires : quand l’avenir est flou, l’inconscient collectif est aux commandes, mais dès que le monde devient compréhensible, être rationnel donne un avantage déterminant.
J'en tire deux idées :

  1. La force de l’Occident a été d’avoir poussé très loin le rationalisme, la ligne droite. Mais il se heurte maintenant à la complexité du monde. « Passer en force » n’est plus possible. En quelque sorte, il doit apprendre le judo.
  2. La science qu’il a développée ne lui montre pas la seule bonne route, comme il le croyait, mais elle l’aide à prendre des décisions judicieuses lorsqu’il se trouve à une bifurcation. Ce que j’appelle « méthodologie ambulatoire » correspond à cela : transformer la science en une aide à la décision de l’homme. C’est ainsi que les Japonais ont transformé le management scientifique de Taylor, et les sciences du management.

En complément :

  • Ozu avait raison. Alors que la famille japonaise formait une cellule unie, les générations sont maintenant séparées. Les personnes âgées ont découvert les maisons de retraite.
  • Ma vision du Japon comme une forteresse m’a était inspirée par un article d’Eamonn Fingleton (Why the Sun is still rising, 2005, que l’on trouve à l’adresse : http://www.unsustainable.org/), un journaliste américain basé au Japon. Il a remarqué que le Japon contrôlait des « goulots d’étranglement » industriels, des technologies indispensables, des monopoles. Le fait que l’on ne s’en rende pas compte me fait croire qu’il a plus un comportement défensif qu’offensif.
  • Les deux types de comportements viennent de WEBER, Max, Sociologie des religions, Gallimard, 2006.
  • L’action des principes de l’économie de marché sur les sociétés : POLANYI, Karl, The Great Transformation: The Political and Economic Origins of Our Time, Beacon Press 2001. (Me semble dire la même chose que Governing the commons sous un autre angle de vue.)
  • Sur le Lean Manufacturing : GM et Lean manufacturing. Un aperçu des techniques japonaises : BERANGER, Pierre, Les nouvelles règles de la production, Dunod, 1987.
  • Un judoka d'entreprise français : Ronald Berger-Lefébure, Animateur du changement.

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