vendredi 2 octobre 2009

Téléphonie mobile et pays émergents

The Economist consacre un dossier (Mobile marvels) à l’histoire de la téléphonie mobile dans les pays émergents (3/4 des mobiles mondiaux). Où l’on voit l’économie de marché à son meilleur :

Alors que l’on ne parle que de gratuité chez nous, chez les pauvres tout est payant. Sans compter que les plus grands succès ont été remportés sur quelques uns des marchés les plus incertains du globe. Et c’est pour cela que les entreprises de télécom ont fait preuve de génie là bas et pas chez nous. Elles rendent des services inestimables aux populations locales (météo ou conseils pour les paysans, transferts d’argent voire services bancaires (Beyond voice)…), et elles ont réduit leurs coûts en faisant preuve d’une créativité exceptionnelle : locations de téléphone, partages d’infrastructure… (Eureka moments.)

D’où émergences d’entreprises redoutablement efficaces. Les opérateurs indiens (The mother of invention) sont les champions de l’optimisation des coûts, ils sous-traitent tout (y compris à IBM dont les produits étaient si chers jadis !), partagent tout. Les équipementiers chinois (Huawei et ZTE) sont d’une immense inventivité. Ils devraient rapidement vider le marché de sa substance et faire table rase de leurs concurrents. Il semblerait même qu’ils soient trop rapides pour les aides de leur gouvernement (Up, up and Huawei). L’avenir est au tout Internet mobile (Finishing the job), ce qui promet de nouveaux trésors de créativité.

Mais le mieux c’est que cette innovation aurait élevé le niveau de vie de ceux qui ont pu en profiter.

Et nous là dedans ? Ce qu’il y a de surprenant, c’est que si tous ces gens semblent fort intelligents, ce qu’ils font n’est quand même pas très compliqué. Pourquoi sommes-nous à l’arrêt ? J’en suis revenu à une théorie qui semble se vérifier :

L’Ouest est dirigé par une élite de managers financiers, qui se figurait à la tête du monde. Elle pensait que le marché d’avenir était à l’Est. Donc non seulement elle pouvait se désintéresser de l’Ouest, mais encore elle devait délocaliser sa production pour jouir des coûts les plus faibles. Cette stratégie n’a pas eu les effets escomptés. Le marché de l’est est fermé à nos produits. Les transferts de technologie massifs, intelligemment exploités, ont rendu beaucoup d’industries locales non seulement autonomes mais surtout bien plus efficaces que les nôtres. D’autant plus que notre management financier, qui pensait avoir trouvé avec les délocalisations sa botte de Nevers, a asséché l’innovation occidentale. L’Ouest se retrouve donc avec un tissu économique anémié, et une population (donc un marché) appauvrie, d’autant plus que celle-ci doit alimenter un plan de relance qui permette à son élite d’éviter les conséquences de ses erreurs.

Il serait bien que cette élite arrête de jouer contre son camp.

Compléments :

4 commentaires:

Bsa a dit…

Et si les oligarches occidentaux cherchaient plus et ce depuis 50 ans a imposer grace a l'economie neo-liberale LA culture occidentale au reste du monde? Car apres tout pour eux tout va bien. Et la pietaille que nous sommes pour la plupart les indiffere. Les riches/puissants du monde ne vont ils pas (avec des hauts et des bas certes) tous dans le meme sens? Contre tous les autres? C'est cette destruction des cultures qui est la vraie conquete sur le long terme.

Christophe Faurie a dit…

Dans un sens il me semble que c'était le calcul qui était fait implicitement, et que la population des MBA illustre: une classe supérieure apatride, dont le seul critère de sélection est l'esprit des affaires.
Cependant, je pense que ça n'a pas marché. La plupart des élites sont nationalistes. Je crois que la cause de la crise est en partie ici.
Par ailleurs, ce que voulait imposer "l'élite apatride" n'était pas la culture occidentale, mais une version ultra light de celle-ci, le strict minimum qui permet de faire des affaires. Probablement le libre échange (appelé "démocratie") + les droits de l'homme, homme entendu comme électron libre, en opposition au concept de société et signifiant sa destruction.
Il me semble que ce qui a été appelé le Consensus de Washington a été la tentative d'imposer ces valeurs au monde, et que la succession de crises qui en a résulté pour les pays émergents (voir mon billet sur le sujet) les a rendus hostiles à nous et à nos valeurs qu'ils ont confondus avec ce qui leur en était dit.
Pour être plus précis. Il me semble que ce qui définit la pensée occidentale c'est une réflexion sur comment éviter à l'homme d'être asservi par l'homme (définition originelle de "libéralisme"). La solution trouvée par les Lumières est un équilibre des pouvoirs qui élimine tout velléité de despotisme, même local. La société ne pouvant bouger qu'avec le consensus général (cf. les guerres).
Or ce "libéralisme" a été travesti en une liberté des échanges commerciaux, qui a conduit a asservir l'homme à une définition discutable de l'efficacité économique. Puisque l'on connaissait le bien (produire le plus possible - cf. A.Smith), le système de protection de la liberté individuelle n'avait plus lieu d'être, il fallait que tous soient tendus vers ce bien.

Bsa a dit…

Il me semble tout simplement que c'est une soicete de confession protestante qui s'est mise en place. Ce que vous detaillez me semble correspondre a la mentalite protestante. Pour qui celui qui est moins que les autres ne peut s'en prendre qu'a lui meme ou a ses origines. Et ou reussir (pour un catho c'est ecraser les autres) est faire la volonte divine.

Christophe Faurie a dit…

Intéressant.
Un prolongement de l'analyse de Max Weber sur les origines du capitalisme?