Un précédent billet disait qu’il fallait redécouvrir le lean manufacturing (Crise occidentale : raisons structurelles). Voici un livre sur la question : BELT, Bill, Les Basiques de la gestion industrielle et logistique, Eyrolles, 2008.
Livre court, simple, bien écrit. Il explique 5 principes fondamentaux du lean manufacturing sans s’appesantir sur les techniques pratiques qu’il peut utiliser (par exemple Kanban, temps Takt…). L’idée est probablement d’apporter l’essentiel au lecteur et de lui donner envie d’approfondir par ses propres moyens. Ce que je n’attendais pas, c’est que le lean n’est pas que technique, c’est la pensée (économique ?) occidentale sens dessus dessous. Mes réflexions :
Le client est roi
Le lean est une philosophie « orientée client ». Il a pour but d’être au plus près de la demande finale pour lui répondre immédiatement. Pour cela, il repose sur une tactique modulaire, qui permet un assemblage d’une infinité de variantes en dernière minute, ou presque. Par contraste, l’approche occidentale conçoit des années avant la mise sur le marché, produit en grande série, puis oriente le marché vers ses produits par la publicité. Le lean nous évite ce lavage de cerveau.
L’union fait la force
Plus fort. Le principe occidental est « diviser pour régner » : les fournisseurs sont mis en concurrence pour en tirer le maximum, loi de l’offre et de la demande. Dans le lean, c’est « l’union fait la force ». Les entreprises constituent une « chaîne logistique » solidaire, qui va du fournisseur du fournisseur au client du client (en fait, si tout le monde applique le principe, toute la société appartient à la même chaîne logistique). Les activités sont alors placées dans cette chaîne au meilleur endroit pour l’ensemble. En optimisant l'intérêt global des membres de la chaîne logistique, on évite le « dilemme du prisonnier » occidental, ce qui, finalement, profite à chacun.
Élimination de l’incertitude
Autre avantage, la demande devient quasi prévisible. D’où l’importance, en lean, de la notion de « demande dépendante » (que l’on peut prévoir). Ce qu’améliore encore le concept de « famille », sur laquelle se font toutes les prévisions (la décomposition en produits réels ayant lieu en « dernière minute » - cf. plus haut). De ce fait, des prévisions à 18 mois sont possibles et fiables, alors qu’il est courant, avec nos techniques, que l’on ne puisse pas prévoir à plus d’un jour. Paradoxalement, cette prévisibilité vient de ce que le dispositif lean est flexible et adaptable, qu'il absorbe l'incertitude. De plus, pas d’incertitude = pas de stocks. Nouveau bénéfice.
Le système de coûts qu’exige le développement durable ?
Ce n’est pas tout. Le système de valeurs et de coûts lean est l’antithèse du nôtre.
Pour lui, le travail de tout homme a le même coût (pas de low cost country), le coût de l’énergie est infini (pas de transport, qui n’apporte rien)… Pour le lean tout ce qui n’apporte pas de la valeur est insupportable ! Le principe du Lean, c'est la lutte contre le gaspillage (d'où le nom "lean"). Et la ressource rare par excellence, c'est l'homme !
En fait, le lean n'a pas réellement un système de coûts (on ne calcule pas), mais compare différents processus de fabrication, et retient celui qui gaspille le moins. Surtout, ce processus s’améliore en permanence grâce au savoir de celui qui est au plus proche de l’action.
Pour le lean, la productivité vient de l'apprentissage humain, de l'innovation organisationnelle ; dans le système occidental, c'est la machine qui l'apporte. Comme elle ne peut pas évoluer, il faut la remplacer régulièrement.
Mais, notre système occidental a aussi un vice. Il peut créer une fausse productivité. Il tend à jouer sur les défaillances d'un calcul de « valeur » basé sur l’offre et la demande (qui fait qu’un Chinois « vaille » moins qu’un Américain, ou que le coût de la pollution est nul), pour gaspiller les ressources naturelles et enrichir certains (les « arbitragers » en anglais). Et si le lean était ce que demande le développement durable de l’espèce humaine ?
Un système imperméable à l’innovation de rupture ?
Reste une question. Pourquoi les Japonais, inventeurs du lean, ne dominent-ils pas le monde ? Pour Paul Krugman, ils n'ont pas su gagner en productivité. La seule explication que j’ai trouvée à cela est : la machine. Ils sont dans l’amélioration incrémentale, alors que l’Occident cherche la rupture. Leurs améliorations viennent de l’intérieur de l’organisation, alors que la machine ne peut venir que de l’extérieur. C’est la destruction créatrice.
Les deux approches ne sont pas incompatibles, mais difficiles à faire cohabiter. L’entrée d’une machine dans un dispositif lean n’est qu’une question de conduite du changement classique ; une fois reconçu, le processus bénéficiera des bénéfices du lean. Par contre, l’organisation lean n’est pas naturellement demandeuse d’innovation de rupture, c'est un terrain défavorable à l'entrepreneur.
Compléments :
- KRUGMAN, Paul, The Return of Depression Economics, Princeton 1999.
- Modélisation de l'organisation occidentale.
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