La théorie de Galbraith (billet précédent) invite à se demander ce qui peut remplacer l’ère des marchés rois.
À quoi ressemblerait l’économie idéale ?
Probablement beaucoup à l’ère des planificateurs : l’entreprise est un être complexe, qui, par nature travaille en groupe. Elle doit être protégée des manigances financières à courte vue, et des intérêts myopes de l’individualiste.
Mais cette planification ne doit pas être rigidité : comme le disait Galbraith, elle ne doit pas chercher à rendre l’avenir prévisible en manipulant nos valeurs et notre psychologie pour que nous achetions ses produits aux prix et dans les quantités qui lui sont nécessaires, et pour que nous passions notre vie à produire l’inutile. L’entreprise doit apprendre à s’inscrire dans les mécanismes sociaux sans chercher à les plier à sa paresse intellectuelle. De même cette planification ne doit pas transformer l’homme en machine, à la mode taylorienne.
Les techniques pour ce faire, existent, et elles sont adaptées à la nature de nos organisations. Ce sont elles qu’examinent mes livres (ordinateur social).
Mais surtout, l’économie idéale doit être au service de l’homme (ce que le disait aussi Galbraith) pas l’inverse. Parce que l’économie est malade, la planète ne vit plus. Est-ce normal que l’économie nous ait asservis ?
Il est possible qu’une économie qui apprendrait à tirer profit des règles sociales, sans les trafiquer, finirait par servir l'homme.
Une utopie ?
Le problème qui affecte le monde est celui du « free rider ». Ce que je traduis par parasitisme, plutôt que par « passager clandestin », comme on le fait d’ordinaire : le free rider peut payer son billet, pas le passager clandestin. L’individu a plus à gagner à profiter de la société qu’à y contribuer. Mais si le parasite se multiplie la société disparaît. Il a donc parfois intérêt à se faire oublier, à laisser se développer des mécanismes sociaux. Alors, il vote Obama. C’est pour cela qu’il est plus facile d’être ultralibéral en France qu’aux USA ; quand on est grand commis de l’État, que lorsque que l’on dirige une PME sous-traitante de l’automobile.
Les sociétés contrôlent le parasitisme de deux façons :
- Elles nous « codent » pour jouer l’équipe. C’est le rôle de l’éducation. C’est à cause d’elle qu’il nous semble bien d’aider les vieilles personnes à traverser, plutôt que de les occire pour leur voler leurs économies.
- Elles favorisent le développement de processus d’autocontrôle, voire d’élimination du parasite. Par exemple, il est difficile de ne pas obtempérer au code de la route, sans risquer un accident.
Le premier mécanisme demande du temps. L’individu change extrêmement lentement et nous sommes massivement individualistes. Sauf crise grave, nous ne changerons pas en profondeur. L’émergence de leaders « sociaux » tels que Barak Obama n’est que l’exception qui confirme la règle.
Quant aux processus d’autocontrôle que nous possédons. Je doute de leur robustesse. L’individualiste déterminé est redoutable. Au mieux, j’ai espéré qu’en permettant d’utiliser plus facilement les mécanismes sociaux, les techniques dont parlent mes livres donnent un avantage déterminant à ceux qui sont « orientés sociétés ». D’ailleurs, elles ont un intérêt qui ne devrait pas être indifférent à l’individualiste : elles permettent aux talents de s’exprimer, et de profiter du haut-parleur de l’organisation pour se faire connaître. Le mécanisme est identique à celui de l’équipe sportive : les talents individuels y sont bien visibles, et ne pourraient se manifester sans l'équipe.
Bien sûr, Darwin a son mot à dire. La société n’est pas faite que de parasites. Et un individu est probablement le terrain de tendances opposées : sociales et parasitiques. La sélection naturelle fera notre future société à l’image de ceux qui auront su tirer leur épingle du jeu. Si la crise favorise, par exemple, l’émergence de réseaux d’entrepreneurs qui, pour éviter le manque de cash, ont su faire une efficace combinaison de leurs compétences, et créer un sentiment d’appartenance de leurs équipes, elle pourrait être plus solidaire qu’aujourd’hui.
Compléments :
- Un exemple d’une société marquée en profondeur par une crise : BCE, hypothèses fondamentales, valeurs officielles.
- Sur les problèmes de « free rider » et leurs modes de contrôle : The logic of collective action, Governing the commons.
- Sur l’efficacité remarquable de quelques champions à tirer parti des règles de la société : Alain Bauer.
- Darwin et le changement.
- L’optimisme quant à l’évolution de la société doit être prudent. Il y a 25 siècles, Platon décrivait une situation qui ressemblait beaucoup à la nôtre. On s’interrogeait déjà sur la « vertu politique », les qualités nécessaires à l’homme pour que la société puisse exister (CHÂTELET, François, Platon, Gallimard, 1965).
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