lundi 8 septembre 2008

Gemeinschaft ou Gesellschaft

Comment réaliser un contrôle efficace sans étouffer l’individu ?

Un échange avec Phyrezo sur la culture allemande me remémore un sujet traité dans mon livre les gestes qui sauvent.

Lorsque l’on observe l’entreprise allemande et l’entreprise anglaise on aperçoit une énorme différence. L’une fait passer ses personnels par un sas d’intégration, l’autre pas. Mais, après quelques années, l’allemand est lâché dans la nature, sans contrôle. Alors que les structures de contrôle de l’entreprise anglaise sont énormes (cf. le contrôle de gestion).
  • D’un côté, contrôle par la culture, par la règle implicite, qui entre dans l’inconscient collectif.
  • De l’autre, contrôle par la règle explicite.
On retrouve un débat qui a marqué la sociologie allemande d’il y a un siècle et plus : Gemeinschaft ou Gesellschaft ? Communauté (solidarité de groupe) ou société (individus liés par contrat) ?
  • L’individualiste va naturellement vers le second. Mais, par définition, il fait ce qu’il veut. Pour s’assurer qu’il sert l'intérêt du groupe, il faut le contrôler. D’où dérive vers un modèle policier de surveillance. Hier encore j’entendais à la radio que des communes anglaises utilisaient des enfants pour dénoncer les contrevenants à l’ordre public (de la crotte de chien, à la voiture mal garée). Pour l’entreprise, on arrive à une organisation naturellement inefficace : on contrôle plus qu’on ne produit. D'où modèle taylorien, qui donne à chacun un programme (la procédure taylorienne).
  • Le modèle de contrôle culturel allemand est étouffant, pour tous ceux qui l’ont testé.
Pour ma part, ma vieille expérience me fait croire qu’il existe une voie intermédiaire. La technique de « l’ordinateur social » qu’étudient mes livres (surtout transformer les organisations).
  • Elle vise à créer des lois partagées, implicites. Mais uniquement quand il le faut. La conformité demandée à l’individu se réduit à ce qui est strictement utile à l’efficacité de l’entreprise.
  • Le processus suivi est une sorte de débat « démocratique » : la mise en œuvre du changement ne peut démarrer si tout le monde n’est pas d’accord (pour des raisons évidentes). D’où mon intérêt pour le procès par jury anglo-saxon, qui est basé sur l’unanimité.
  • L’ordinateur social n’est pas un processus mou, « politiquement correct ». Il va très vite. Comme le demande l'économie.
Références :
  • TONNIES Ferdinand, Community and Society, Transaction publishers, 1988.
  • ARON, Raymond, La sociologie allemande contemporaine, Puf, 1961 (première edition 1935).
  • SORGE, Arndt, WARNER, Malcolm, Manpower Training, Manufacturing Organisation and Workplace in Great Britain and West Germany, British Journal of Industrial Relations, Novembre 1980.
  • Sur la dérive policière anglo-saxonne : Terrorisme et Angleterre.
  • Justice américaine (procès par jury).
  • Sur la manière dont l'anglo-saxon voit le contrôle par la culture : Totalitarisme et management.

2 commentaires:

Phyrezo a dit…

"L’une fait passer ses personnels par un sas d’intégration", s'agit-il du trainee programm qu'applique les grandes entreprises allemande (j'ai appris récemment que les scandinaves avaient ce genre de pratiques aussi) ?

Si je comprends bien, on aurait dans l'entreprise allemande une structure qui évolue plus vers la Gemeinschaft grâce au sas d'intégration, alors que dans la société civile s'organise en Gesellschaft (avec effectivement ce controle permanent et oppressant par chaque individu, comme on dit en allemagne "in jeder Deutsche ist ein Polizist")

Christophe Faurie a dit…

1) Le sas serait plus long. L'article dont je parle explique qu'il s'agit de premières années en usine, qui est l'unité d'intégration de beaucoup d'entrepises.
2) effectivement modèle allemand = Gemeinshaft. Vu sous un angle familial, non poilicier, d'engagement de l'individu pour la cause commune... (Mais le pas à franchir vers une organisation moins sympathique est petit : le nazisme s'est reconnu dans ces thèses.)